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l’homme et la terre. — nationalités

dont, elle avait besoin pour arrondir et consolider ses conquêtes. Cependant l’immensité des intérêts engagés dans la domination d’un aussi vaste empire avait obligé le gouvernement britannique à se substituer graduellement comme législateur à la compagnie, et le transfert ne s’accomplissait point sans heurts et faux mouvements qui diminuaient le prestige des maîtres aux yeux de la multitude des sujets. C’est alors, en 1857, que fut introduite imprudemment dans les régiments indigènes de l’Inde une nouvelle arme, la carabine Enfield, dont les cartouches étaient graissées de lard : du coup, Hindous et Musulmans, que séparait une haine traditionnelle, soigneusement entretenue par leurs chefs, se trouvèrent réconciliés ; les adorateurs de la vache et les maudisseurs du porc, violentés les uns et les autres dans leur foi et leurs pratiques religieuses, furent en même temps poussés à l’indiscipline et à la révolte. Un premier soulèvement eut lieu dans les cantonnements de Mirath ; mis en fuite, les cipayes rebelles ne s’emparèrent pas moins de Delhi, la ville centrale de l’Hindoustan, le point de convergence de ses grandes voies commerciales et le point stratégique par excellence du double versant de l’Indus et du Gange, en même temps que le siège symbolique de l’empire. Tous les mécontents, encouragés par mille de ces prodiges et prophéties qui surgissent toujours pendant les périodes critiques, crurent que le grand jour du renversement était arrivé et s’insurgèrent à leur tour : on comprit que le destin de l’Angleterre dépendait de la possession de Delhi vers laquelle se dirigeaient les combattants. Mais le cercle de l’insurrection se trouva limité, il ne s’étendit pas dans le Pendjab et n’empiéta que légèrement sur les présidences de Madras et de Bombay ; la plupart des princes médiatisés restèrent fidèles au gouvernement qui les pensionnait, et les Afghans se bornèrent à contempler l’assaut du haut de leurs montagnes. Les Anglais eurent l’avantage et reprirent Delhi après quatre mois de siège, mais la guerre dura plus d’une année avec des succès divers accompagnés de massacres et de cruautés monstrueuses. Naturellement les « civilisés » qui furent les vainqueurs réprouvent les crimes de leurs adversaires et se félicitent de leur propre énergie dans la politique de terreur et d’extermination sans pitié.

La compagnie des Indes disparut dans le fracas, et, par sa proclamation du 1er novembre 1858, la reine Victoria prit directement le pouvoir. L’Angleterre assuma donc toute responsabilité dans la bonne ou mauvaise gestion de l’immense empire qui, à l’époque de la reprise, n’avait pas