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l’homme et la terre. — nègres et moujiks

vage par toutes sortes d’artifices légaux et qu’ils ont trouvé des complices dans les tribunaux et parlements d’Etat. De pareilles iniquités sont inévitables, car les anciennes institutions ont la vie dure ; et, d’ailleurs toutes les exploitations de l’homme par l’homme, esclavage, servage salariat, ne prennent-elles pas des formes analogues, difficiles à distinguer dans les divers milieux ?

La république nord-américaine sortait si puissante de la guerre civile qu’elle avait même pu remporter une grande victoire morale contre une puissance étrangère sans avoir eu à se donner la peine d’en venir aux menaces, ou seulement aux sérieuses remontrances. Dès la fin de l’année 1861, c’est-à-dire lorsque la Sécession était prononcée, et que la guerre avait déjà causé ses premiers désastres, Napoléon III, l’empereur de hasard, que tourmentait toujours une idée chimérique, intervenait diplomatiquement dans les affaires intérieures du Mexique pour y faire alliance avec le parti clérical, tout en servant les intérêts de quelques tripoteurs de finances. Voyant dans quelle aventure on les menait, l’Angleterre et l’Espagne, qui s’étaient alliées à la France pour formuler des revendications sur les questions d’emprunts et de douanes, s’empressèrent de se retirer, et l’empire napoléonien resta seul pour chercher noise à la république mexicaine.

D’après le témoignage des chroniqueurs de l’époque, il parait établi qu’en envoyant ses troupes au Mexique pour y détruire le régime républicain et le remplacer par un empire, Napoléon III, silencieux d’ordinaire, aurait pourtant cette fois laissé échapper un secret : « Ceci c’est la grande pensée du règne ! » Se croyant arbitre suprême, placé au gouvernail de l’humanité, il ne visait à rien moins qu’à soustraire le Nouveau Monde à l’influence prépondérante des Anglo-Américains et à faire pour l’Hispano-Amérique ce qu’il croyait avoir fait pour la France, lui tracer un lit permanent comme aux fleuves rectifiés, l’arracher définitivement au régime incertain et changeant des instincts et des caprices populaires, lui imposer une évolution venue d’en haut et réglée par la volonté d’un homme, d’un empereur, toujours présumée prudente et sage. Afin de donner à son dessein une apparence absolument désintéressée, il se garda bien d’imiter son oncle qui n’avait eu de trônes que pour sa dynastie : celui dont il fit choix comme représentant de son idéal monarchique appartenait à l’antique maison d’Autriche, celle de