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l’homme et la terre. — la révolution

lables. On attaque une prison pour en délivrer les captifs, puis on brûle les barrières d’octroi, on s’empare des poudres et des armes ; les soldats de la garde française, presque tous Parisiens, se mêlent au peuple ; le régiment de Châteauvieux, composé de Suisses vaudois de langue romande, se sentant
Cabinet des Estampes.Bibl. Nationale.
de launay
gouverneur de la Bastille, est conduit à l’Hôtel-de-Ville où il n’arriva pas vivant.
Français de mœurs et de tendances, refuse de tirer sur la foule ; les milices s’organisent, d’autant plus ardentes à la lutte qu’elles sont entourées de troupes étrangères, Suisses, Allemands, Croates, Pandours, soudards dont on ne comprend pas même le langage.

Et soudain, malgré les chefs et les conseillers, malgré tout bon sens mais entraîné par une foi soudaine, par un instinct unanime, le peuple se précipite follement contre le bloc énorme de la Bastille, contre le noir cube de pierre à l’ombre duquel la ville s’agitait impuissante, et la forteresse, qui eût pu se défendre par sa seule masse, finit par ouvrir ses portes, fait tomber ses ponts-levis, parce que ses défenseurs eux-mêmes sentent que le grand jour est venu : la Bastille se livra, « par mauvaise conscience »[1], la volonté collective de Paris l’avait hypnotisée.

  1. Michelet, Histoire de la Révolution Française, I, p. 203, édition de 1877.