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l’homme et la terre. — internationales

prouvent que les tendances naturelles à la dissociation politique avaient été puissantes. Le fait est que la France, prise dans son ensemble, est beaucoup moins une que l’Allemagne, et même que l’Italie.

La raison profonde de ce contraste est essentiellement géographique. La France appartient à deux versants : par sa face méridionale, elle fait partie de l’aire méditerranéenne et, par la face opposée, comprenant la plupart de ses bassins fluviaux, elle regarde vers l’Océan, tandis que l’Allemagne est tout entière sur la pente du nord et que, inversement, l’Italie est complètement méditerranéenne. Il en est résulté que, malgré les mélanges, les croisements, les migrations et contre-migrations, la population du territoire à double inclinaison, qui est devenu la France, a gardé une très remarquable diversité, sinon dans les villes, du moins dans les districts reculés des campagnes. Il est certain qu’entre l’Euskarien de la Nive ou de la Bidassoa et l’Ardennais ou le Lorrain, il y a une différence de type beaucoup plus grande qu’entre le Tirolien et le Mecklembourgeois ou même qu’entre le Lombard et le Sicilien, pourtant si distincts l’un de l’autre. Ce qui a pu causer l’illusion des étrangers et des Français eux-mêmes qui vantent leur unité nationale, c’est, d’une part, la confusion qui se fait très fréquemment entre le pays tout entier et la ville de Paris, considérée comme un résumé de la nation, quoiqu’elle s’en distingue pourtant par de si frappants contrastes, et, d’autre part, l’étrange aberration de ceux qui voient dans l’uniformité administrative l’indice d’une ressemblance entre les populations que l’on soumet au même régime. La carte étant divisée de la même manière en départements, arrondissements et cantons, quelques-uns s’imaginent que l’évolution politique et sociale s’est accomplie naturellement et spontanément suivant un même mode sur les bords de la Méditerranée et sur les plages de l’Océan.

Encore à un autre point de vue l’Allemagne entrant en conflit avec la France lui était supérieure : elle ne possédait pas de colonies. L’empire français n’avait pu avoir de politique une et droite, bien lancée comme une flèche, parce qu’il lui avait fallu disperser sa pensée et ses actes. En conséquence, la nation tout entière s’était trouvée comme « décentrée » dans sa force de résistance : la conquête et l’occupation de l’Algérie, les affaires du Mexique, de la Chine et de l’Indo-Chine ainsi que toutes les annexions coloniales avaient réduit d’autant la part de la France dans la vie de l’Europe : c’est à ce déplacement d’énergie que doit être