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l’homme et la terre. — internationales

tout gouvernement qui se respecte ne pouvaient être pardonnées et, dès les premières rencontres autour de Paris, l’armée régulière ne manqua pas d’appliquer à ses prisonniers le nouveau code de guerre qui permet à tout militaire de s’arroger droit de mort sur tout civil. À ces tueries, la Commune répondit par un « décret sur les otages », qu’elle exécuta tardivement et sans oser en prendre la complète responsabilité, tandis que continuait gaiement le massacre des communards autour de Paris, puis, durant la « semaine sanglante », dans les mes et dans les maisons, et, après les soixante-dix jours de la Commune, dans les casernes et les prisons. Le contraste entre les deux morales se montrait évident. Tandis que les socialistes de Paris, faits au respect de la vie humaine, ne s’étaient décidés qu’à cœur défendant aux représailles contre des personnages de la caste ennemie, la mise à mort de tout citoyen de la cité rebelle était tenue comme méritoire parmi les prêtres, les juges et les soldats. Et l’on vit un chef de l’armée « de l’ordre », un des officiers supérieurs qui avaient tenu sous l’Empire la vie la plus basse, racontée plus tard par lui d’une façon cynique, on le vit faire un choix parmi les prisonniers, désignant pour la mort tous ceux qui avaient une tête noble, intelligente et fière, surtout des vieux, parce que ceux-ci avaient obéi à des convictions, et de très jeunes, parce que ceux-là avaient eu pour mobile l’enthousiasme des grandes choses.

On peut le dire : le but nettement poursuivi par les conservateurs, lors de la répression de la Commune, fut de procéder à une sélection à rebours, comme on l’avait fait du temps de l’Inquisition, en supprimant les hommes coupables d’une intelligence supérieure, trop hauts de pensée et de vouloir pour s’accommoder à la torpeur qui convient aux sujets obéissants. Cette sélection des victimes avait réussi aux prêtres de l’Espagne, qui empêchèrent en effet leurs concitoyens de penser et d’agir pendant trois cents années. En France, elle ne put être poursuivie avec assez de méthode pour arriver à des résultats aussi décisifs, mais elle eut aussi des conséquences très appréciables dans l’évolution historique de la génération suivante. Que de fois, dans les circonstances graves, eut-on à constater que les hommes manquaient ! Et, dans son ensemble, si le socialisme a cessé d’avoir son caractère généreux, dévoué, humanitaire, pour se transformer en un parti politique prêt à s’assouplir dans toutes les intrigues des parlements, ne faut-il pas en chercher l’une des causes dans ce fait qu’il avait été privé de ses