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l’homme et la terre. — internationales

pour qu’elle pût lâcher la nation qui était sa proie, et l’on suscita une nouvelle insurrection de carlistes qui rendit l’armée nécessaire. De prétendus républicains, des orateurs au verbe retentissant se prêtèrent à ce jeu pour ramener la domination du sabre, et le matin du 3 janvier 1874, un général entrait avec tambours et fusils dans la salle de délibération des Cortès : ainsi s’installent les royautés.

Cependant, une des communes fédérées qu’avait fait surgir la révolution, la ville de Cartagena, se défendait encore vaillamment, grâce à la ceinture de forts qui l’entourait et aux navires de guerre dont elle s’était saisie. Représentée par des hommes plus conscients, plus logiques, plus résolus, plus tenaces que la plupart des révolutionnaires de l’époque, la commune de Cartagena se rapprocha beaucoup plus que ne l’avait fait Paris de l’idéal d’égalité et de fraternité entre citoyens et s’attaqua bien plus franchement aux problèmes sociaux : pendant longtemps encore, les prolétaires Cartagénais se rappelèrent leurs heureux : jours de travail et leur bien-être pendant le siège. Les défenseurs de la ville avaient pris leur rôle très au sérieux : ils ne craignirent pas (12 juillet 1873) de libérer les quinze cents prisonniers du bagne, et de leur confier l’équipement de la flotte ; avec eux ils entreprirent des croisières en pleine Méditerranée ; avec eux ils livrèrent un combat naval aux bâtiments de « l’ordre » et se présentèrent devant Almeria et Alicante ; puis, lorsque le dernier fort de Cartagena eut capitulé, ils percèrent la ligne de blocus sur le navire cuirassé La Numancia pour aller remettre aux autorités françaises d’Oran les personnages révolutionnaires que la réaction triomphante n’eût pas manqué de fusiller (12 janvier 1874).

A la fin de l’année, rappelé par Martinez Campos, Alphonse XII, le jeune fils de la reine Isabelle, dûment béni par le pape pour entreprendre son œuvre de réparation monarchique et religieuse, débarquait à Barcelone, et, plus carliste que don Carlos lui-même, se mettait à l’œuvre, secondé par le ministre Canovas, pour effacer les traces des révolutions qui venaient d’ébranler l’Espagne. Tout d’abord, il abolit le jury, le mariage civil, la liberté de l’enseignement, rendit à l’Eglise et aux congrégations les biens ecclésiastiques non vendus, interdit aux non-catholiques tout exercice public du culte : il se rapprocha le plus possible du régime des beaux temps de l’Inquisition, sans d’ailleurs arriver à satisfaire l’Eglise. Dans les colonies, il maintint à outrance les privilèges des planteurs, tout en faisant amende honorable à la république