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l’homme et la terre. — peuplement de la terre

peu plus de 3 kilomètres. Aussi longtemps que cette ligne majeure de communication ne sera pas terminée, le commerce de Marseille sera grièvement lésé par le gouvernement même qui a charge de le protéger, mais le génie militaire n’admet pas qu’on vienne forer des tunnels dans sa frontière. Depuis un demi-siècle, on se dispute à propos d’une autre voie ferrée, considérée comme absolument urgente, celle qui joindrait Nice et Turin par le col de Tende. La construction en est décidée, votée, approuvée, mais il ne suffit pas d’établir le devis d’un chemin, d’en faire et d’en vérifier le tracé, il faut aussi construire des forts qui le bombarderont et loger les poudres qui le feront sauter. Finalement, les Italiens posent la voie, en contournant la frontière français.

Les fortifications, telle est en effet la grosse question relativement aux frontières. Qu’on en juge par Briançon, l’ancien lieu de marché où se rendaient les pacifiques montagnards d’en deçà et d’au delà pour discuter leurs affaires et renouer leur amitié. Maintenant, c’est un ensemble de remparts, de bastions, de casernes, de ponts fortifiés, de batteries percées dans le roc, et chaque montagne environnante, escaladée par une succession de forts, porte à son sommet une autre citadelle. Les redoutes s’élèvent jusqu’au-dessus de la zone des avalanches, et les chasseurs alpins qui tiennent garnison dans ces murs toujours exhaussés de neiges ne peuvent les aborder sans creuser des tranchées et des tunnels. Le plus haut sommet de tout le massif, le Chaberton, qui n’a pas moins de 3 138 mètres, soit 1 800 mètres de plus que Briançon, perdue comme au fond d’un gouffre, est aussi couronné par un fort, ouvrage italien qui commande tous les travaux de défense des pitons français : les deux nations se combattent à coups de millions, tout en échangeant des politesses diplomatiques. La route du mont Genèvre est coupée en plusieurs endroits et suspendue au-dessus de formidables précipices que franchissent des ponts-levis. Des dépenses faites de part et d’autre en constructions, en manœuvres, en approvisionnements nécessitent un budget annuel qui, après un siècle, représenterait la rançon d’un royaume. Il est facile de comprendre pourquoi les nations limitrophes reculent devant la tâche de créer des communications nouvelles. Une route est coûteuse sans doute, mais les forts qui la barrent le sont bien davantage encore !

On comprend aussi pourquoi, sous un pareil régime, la zone des frontières se dépeuple. Déjà les habitants de la haute montagne avaient