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ganglions humains

scalper. C’est là ce que l’on appelait, « to dance the hog » — nous dirions la danse du porc-épic. Un écrivain bien connu, Richard Heath, qui a profondément étudié la vie rurale en Angleterre, raconte comment sa mère, de naissance hollandaise, ne pouvait sortir de chez elle sans être ainsi forcée comme un gibier par des persécuteurs et sans voir la ronde féroce se dérouler autour d’elle. Quel changement cinquante ans après ! Sans doute, le « vieil homme » n’est pas encore complètement dépouillé et, ci et là, dans les campagnes reculées, l’étranger n’est pas à l’abri de toute injure, mais, d’ordinaire, la courtoisie, même la bienveillance et la cordialité se manifestent sous toutes les formes.

En dépit de la revêche persistance que mettent les esprits retardataires à maintenir, même à baigner de sang les bornes de la frontière — bornes qui, d’ailleurs, n’ont pas le mérite de la durée, puisqu’elles changent si fréquemment —, les chaînes qui rattachaient l’individu au sol natal sont devenues plus fragiles, pour ainsi dire, et les attractions spéciales de chaque contrée ont moins de force à exercer pour que les hommes se laissent entraîner par elles conformément à leurs affinités propres. La population tend de plus en plus à se répartir sur la planète suivant les avantages de toute nature que présentent les diverses contrées au point de vue du climat, des ressources pour le travail, des facilités de la vie, même de la beauté des paysages. Grâce à cet accord de plus en plus facile entre l’homme et le globe, puisque chaque individu peut maintenant prévoir, hâter ou même vivre le jour où il s’établit sur un sol d’élection, sur une terre qu’il s’était « promise » à lui-même, une distribution normale des hommes se fait dans les diverses parties de la Terre en proportion de leurs éléments d’accommodation. L’exode de quelque vingt millions d’Européens vers l’Amérique du Nord a été le résultat le plus important de cette motilité de l’homme, mais d’autres régions tempérées et même tropicales du Nouveau Monde se sont aussi peuplées et ne manqueront pas de se peupler davantage. Une grande partie des étendues sibériennes et de la Chine extérieure, l’Australasie, nombre de contrées africaines reçoivent et recevront de la même manière des populations nouvelles : le genre humain, comme l’eau de la mer, cherche son niveau, et maintenant il peut le trouver sans peine, par la disparition, au moins partielle, des obstacles qui gênaient son mouvement.

Ainsi qu’il convient à un organisme aussi vaste et aussi complexe