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disparitions apparentes

race pure dans les forêts de la Dominique, c’est là tout ce qui reste des anciennes tribus, avec quelques métis de Saint-Vincent et ceux des îles de la baie, sur la côte de Honduras. Dans la Terre de Feu, la chasse à l’homme dure encore : une moitié des indigènes périt sous les balles, tandis que l’autre moitié meurt de phtisie dans les missions.

Des expulsions en masse, notamment celle dont les Russes prirent la responsabilité terrible, après l’occupation des hautes vallées caucasiennes, furent aussi des tueries partielles, car de pareils exodes ne peuvent s’accomplir sans qu’il y ait un formidable déchet d’hommes, par l’effet des maladies, des famines, de la nostalgie, des conflits avec les étrangers. En perdant leur patrie, leur nom, les malheureux perdent leur âme. Qui parlera désormais des Tcherkesses, des Abkhazes, des Tchetchènes, des Lesghiens ? Ils se fondent au milieu des Turcs, des Grecs et autres, chez lesquels se trouvent les lambeaux de terre qu’on leur a distribués. Cependant des représentants de la race continuent d’exister, et si l’on parle un jour de la disparition totale de ces tribus on ne sera justifié qu’à demi, leur mort ne sera qu’apparente. Que de nations sont ainsi considérées comme détruites, alors qu’elles se sont simplement assimilées aux populations environnantes. Du moins leur descendance s’est maintenue, comme celle des Sabins a persisté dans Rome. De même des Ibères, des Ligures vivent toujours dans les Gaules, et l’Angleterre a ses Bretons. Le sang des Algonquins et des Séminoles se retrouve chez les Américains du Nord et celui des Araucans chez les Hispano-Chiliens.

Divers statisticiens ont hasardé l’évaluation du nombre des hommes que pourrait nourrir notre globe planétaire. Ce chiffre dépend en premier lieu du genre de vie que l’on suppose à l’habitant moyen, car une population chasseresse de quelque 500 millions pourrait être à l’étroit sur ce globe où vivent aujourd’hui trois fois plus d’hommes. D’autre part, si l’on cherche à se baser sur l’alimentation moyenne de l’Européen, que de points sujets à controverse soulève une pareille étude ! La productivité des différents sols dépend de facteurs encore si peu connus, la « ration nécessaire » varie encore tellement, suivant les auteurs spécialistes, qu’il ne faut point s’étonner de la divergence des résultats. Woyeikov a calculé[1] qu’une population de seize milliards d’hommes,

  1. Guiseppe Ricchieri, Universita populare, 1903, n° 24.