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l’homme et la terre. — répartition des hommes

atteinte dans ses organes essentiels. Que l’on constate la triste forme extérieure prise par des cités comme Strasbourg, Metz, Lille ! Cette dernière ville s’est trouvée tellement à l’étroit dans ses remparts qu’elle a dû, pour ainsi dire, résurgir en dehors de la zone des servitudes militaires. Roubaix et Tourcoing doublent l’agglomération fortifiée et, aujourd’hui, on cherche à regrouper les trois éléments en un tout harmonieux au moyen de larges boulevards.

Malgré la beauté de quelques édifices, la grâce de ses promenades, l’attirance de sa population, Paris est aussi une des villes qu’enlaidit la brutale enceinte. Dégagé de ce déplaisant ovale en lignes brisées, l’organisme se serait développé d’une façon esthétique et rationnelle, il aurait pris une figure élégante donnée par la vie.

Une autre cause de laideur dans nos villes modernes provient de l’invasion des grandes industries manufacturières. Presque chaque agglomération urbaine est assombrie par un ou plusieurs faubourgs, hérissés de cheminées puantes, traversés de rues noires : d’immenses constructions les bordent, aveugles ou percées d’innombrables fenêtres à l’écœurante symétrie. Le sol tremble sous l’effort des machines en mouvement, sous le poids des camions et des trains de marchandises. Que de villes, surtout dans la jeune Amérique, où l’air est presque irrespirable, où tout ce que l’on aperçoit, le sol, les routes, les murailles, le ciel, suinte la boue et le charbon ! Peut-on se rappeler sans horreur et dégoût une agglomération minière comme cette interminable et sinueuse Scranton, dont les soixante-dix mille habitants n’ont pas même un hectare de gazon souillé et de feuillages noircis pour consoler les yeux de toutes les hideurs de l’usine ! Et l’énorme Pittsburg, avec sa couronne semi-circulaire de hauts faubourgs qui flambent et qui fument, comment se l’imaginer sous une atmosphère plus salie, quoique, d’après les indigènes, elle ait gagné en propreté des rues et en clarté des horizons depuis l’introduction du gaz naturel dans les usines ? D’autres villes, moins noires, sont à peine moins hideuses, de par le fait des compagnies de voies ferrées qui se sont emparées des rues, des places, des promenades et qui font renâcler et siffler leurs locomotives en écrasant la foule sur leur parcours. Quelques-uns des plus beaux sites de la Terre ont été déshonorés : ainsi c’est en vain qu’à Buffalo le promeneur essaierait de suivre la rive de l’admirable fleuve Niagara, à travers fondrières, croisements de