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l’homme et la terre. — répartition des hommes

en losanges, varient bizarrement le dessin géométrique des places et le style des maisons, tout en gardant religieusement les coins les plus avantageux pour les débits de boissons funestes. Villes factices, construites sur un type banal et témoignant toujours par quelque côté de l’insolence fastueuse des constructeurs !

Quoi qu’il en soit, toute ville nouvelle arrive aussitôt, par le fait même de la juxtaposition des demeures, à constituer un organisme collectif, dont chaque cellule individuelle cherche à se développer en santé parfaite, condition première de la santé de l’ensemble. L’histoire est là pour enseigner que les maladies des uns entraînent celles des autres et qu’il est dangereux pour les palais de laisser la peste dévaster les taudis. Aucune municipalité n’ignore de quelle importance serait un assainissement complet de la ville par le nettoyage des rues, l’ouverture de places gazonnées et fleuries, ombragées de grands arbres, la disparition rapide de toutes les immondices et la diffusion de l’eau pure en abondance dans tous les quartiers et toutes les maisons. A cet égard, les villes des pays les plus avancés sont en rivalité pacifique pour mettre en pratique ou à l’essai des procédés particuliers de nettoyage et de confort. Il est vrai que les villes, comme les Etats, ont des gouvernants incités par leur milieu même à s’occuper surtout de leurs intérêts privés ; mais c’est déjà beaucoup de savoir ce qu’il convient de faire pour que les organismes urbains fonctionnent un jour mécaniquement, pour l’acquêt des provisions, la circulation des eaux pures, de la chaleur, de la lumière, des forces, de la pensée, la répartition constante de l’outillage et l’expulsion des matières devenues inutiles ou funestes. Cet idéal est encore fort loin d’être réalisé ; du moins, nombre de villes sont-elles déjà devenues assez salubres pour que la vie moyenne y dépasse celle de mainte campagne, dont les habitants aspirent continuellement l’odeur des pourritures et des fumiers et sont restés dans l’ignorance primitive de toute hygiène.

La conscience de la vie urbaine se manifeste aussi par les préoccupations d’art. Comme Athènes jadis, comme Florence, Nürnberg et les autres cités libres du moyen âge, chacune de nos villes modernes tient à se faire belle : il n’est pas jusqu’au plus humble village qui ne se donne un clocher, une colonne ou une fontaine sculptée. Art fort triste et fort maussade en général que cet art manipulé par des professeurs à diplômes, sous la surveillance d’une commission d’incom-