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l’homme et la terre. — latins et germains

officiellement comme « colonies françaises » furent complètement évacués sans même qu’un ennemi se donnât la peine de les attaquer. Evidemment tous ces pays éloignés de la contrée d’où sont venus les envahisseurs restent des acquisitions précaires puisque les conquérants n’y ont pas fait souche et ne s’y trouvent qu’en exploiteurs haïs, en visiteurs redoutés. La proportion des Français qui résident dans les territoires dits coloniaux situés en dehors de la Maurétanie et n’ayant pour habitants que des indigènes avec ou sans droit de vote est infinitésimale, pour ainsi dire. Dans toutes les colonies africaines, asiatiques et océaniques, la Réunion et la Nouvelle-Calédonie exceptées, on ne compte guère que 25 000 Européens civils, dont tout au plus 20 000 Français, et 36 000 hommes de troupe venant de la métropole. Les possessions de l’Indo-Chine, qui ont certainement une très grande importance économique et qui ne peuvent manquer d’acquérir d’année en année une valeur constamment accrue, doivent leurs progrès matériels beaucoup moins à leurs propriétaires et administrateurs français qu’aux marchands européens d’autre origine, aux immigrants chinois et surtout aux indigènes eux-mêmes, qui sont des gens de labeur et d’intelligence. Quant aux Antilles françaises, la Martinique et la Guadeloupe, les fils des anciens esclaves, encore noirs ou foncés de couleur à cause de leur origine africaine, sont pourtant devenus Français par la langue, l’éducation, le suffrage et la conscience nationale ; mais pour le commerce, ils sont entrés déjà, en dépit des tarifs différentiels, dans le cercle d’attraction des États-Unis.

Malgré le nombre et l’étendue de ses possessions coloniales, dans lesquelles les patriotes français feignent de trouver la force, et qui sont en réalité une cause de faiblesse, la France comprend l’insécurité de sa position à côté de deux États beaucoup plus puissants qu’elle, l’un par son argent et sa flotte, la Grande Bretagne, l’autre par sa population et son armée, l’empire germanique ; aussi a-t-elle dû chercher une alliance, au risque de faire bon marché de ce que l’on appelait jadis les principes républicains. Les diplomates se sont évertués à marier les sons de la Marseillaise et de l’Hymne du Tsar. Le fier idéal qui inspirait les hommes de la Convention est bien oublié de leurs petits-neveux. Toutefois, des sentiments très multiples se sont mélangés aux réjouissances officielles populaires occasionnées par cette alliance. A côté des flagorneurs trop heureux de se reconnaître les valets d’un haut personnage,