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l’homme et la terre. — latins et germains

Dans ce conflit des deux France, il est naturel que les éléments conservateurs se soient allégés de tout ce qui pouvait alourdir le combat. La monarchie les gêne, d’autant plus que, loin d’être un principe absolu, elle est subordonnée à l’existence d’une famille royale ou impériale, et que plusieurs d’entre elles se disputent le pouvoir. Les tentatives de restauration ayant échoué, précisément à cause de ces compétitions entre candidats à la souveraineté, il a paru plus pratique de se « rallier à la République » conformément à l’avis du pape, car un nom n’engage à rien, et sous celui de « Chose commune » on peut embrasser les survivances du passé les plus contradictoires aux idées nouvelles. Naturellement le centre de ralliement pour la droite et la gauche de la grande armée conservatrice devait être la vieille Eglise catholique, assouplie très adroitement à toutes les manœuvres modernes, mais incapable de transiger sur les principes qui sont, comme ils le furent toujours, l’asservissement des esprits et des volontés à la tradition religieuse. Le respect des intérêts acquis est tellement respecté en pareille matière que le personnel de la réaction française semble avoir à peine changé pendant un siècle. C’est une des très intéressantes et très logiques conséquences de l’histoire, que, sous la République officielle, la plupart de ceux qui commandent l’armée française soient précisément les petits-fils des émigrés royalistes qui envahirent la France à la solde de la coalition des rois. Les noms énumérés dans les annuaires coïncident d’une manière étonnante, à un siècle de distance, à ceux qui figuraient à Coblentz et à Quiberon dans la liste des mercenaires étrangers[1]. Par une évolution toute naturelle et qu’il serait par conséquent injuste de reprocher à qui que ce soit, les royalistes envahisseurs de la France se sont transformés en « patriotes intransigeants ».

Sans être unique à cet égard parmi les nations, la France est cependant celle que l’on cite d’ordinaire comme le groupe ethnique le plus infertile en progéniture. Tandis que dans la plupart des contrées européennes et des autres pays appartenant au même type de civilisation, la population, aidée par les admirables progrès de l’hygiène moderne et la découverte incessante de nouvelles ressources, s’accroît suivant des proportions qui n’avaient été jamais atteintes, la France n’augmente que très faiblement en résidants, et même il est arrivé plusieurs fois

  1. Urbain Gohier, l’Armée de Condé, Revue Blanche, 1er juillet 1898.