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l’homme et la terre. — latins et germains

sont telles que le généralissime des forces allemandes, voyant avant tout dans les peuples des réserves d’hommes valides pour le combat et pour le massacre, célèbre la victoire que l’armée germanique remporte chaque année sur l’armée française : un écart annuel de cent mille naissances équivaut en effet, dans l’équilibre militaire, à une énorme tuerie sur un champ de bataille.

Or ces causes profondes, intimes, du recul ou du progrès de la population font davantage, sinon pour la prospérité vraie du moins pour l’influence relative des nations, que les brusques événements politiques, les immigrations ou les exodes. La population d’un simple canton d’une vingtaine de mille individus, dont pendant quatre siècles le taux des naissances dépasserait celui des décès de deux pour cent — unirait par exemple la natalité d’Autriche-Hongrie, trente-huit pour mille, à la mortalité anglaise, dix-huit pour mille —, pourrait théoriquement atteindre cinquante millions d’hommes, assez pour couvrir le territoire de l’Allemagne entière ; puis si par un brusque retour la proportion venait à changer du tout au tout, les cinquante millions se réduiraient de nouveau à quelques milliers d’individus au bout de ce même laps de quatre cents années. C’est ainsi que l’on a vu la population franco-canadienne grandir d’une façon merveilleuse, pousser ses flots humains comme une marée, montrer vingt-cinq mille individus là où il ne s’en trouvait qu’un seul millier cent années auparavant ; et, d’autre part, que des nations, ayant perdu leur ressources en terres, en eau, en relations de commerce, ont fini par disparaître, tels les Hymiarites et les Babyloniens, ne laissant plus qu’un nom et des vestiges là où ils avaient cultivé de vastes campagnes et dressé des cités populeuses. Mais ces révolutions, de si haute importance historique, frappent beaucoup moins les esprits que des faits brusques, d’intérêt tout à fait secondaire. « La dépopulation tue les nations sans faire souffrir aucun des individus dont elles se composent, et nulle douleur n’étant ressentie, nulle plainte ne se fait entendre »[1]. Cette maladie sociale, à laquelle Aristote a donné le nom d’oliganthropie, menace-t-elle actuellement l’existence de la nation française ? Le moment est-il venu pour elle de se préparer à mourir ?

Quelles sont les causes du ralentissement dans les progrès de la population kilométrique ? Evidemment elles sont multiples, mais il est très

  1. Arsène Dumont, Revue Scientifique, 20 juillet 1895, p. 92.