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l’homme et la terre. — latins et germains

également. Les persécutions dirigées par les Espagnols de Philippe II, puis l’oppression systématique établie par les prêtres, les moines, les nobles propriétaires avaient si bien réussi dans les provinces belges, et surtout dans les Flandres, qu’on vit la population s’insurger contre les réformes, se cabrer contre l’idée de liberté, se prosterner pour rester esclave. Les révolutions belges furent toutes contraires au mouvement de progrès qui emportait le siècle : même celle de 1830 mêla si bien les éléments de réaction et d’indépendance qu’on se demande s’il faut s’en féliciter ou s’en plaindre. Encore de nos jours à Thielt, les habitants montrent avec orgueil un bas-relief qui représente leurs grands-pères se pressant autour d’un prêtre et brandissant leurs faux contre les « infâmes révolutionnaires ».

D’une manière générale, on peut dire que la Wallonnie, plus éclairée, plus instruite, plus ouverte aux idées nouvelles, plus industrieuse, s’est prêtée moralement aux influences du mouvement d’émancipation, venu surtout de France, tandis que les provinces flamandes, restées fidèles à l’esprit du catholicisme, ont beaucoup plus énergiquement résisté à l’influence française, du moins au point de vue politique, car elles sont obligées par les conditions économiques d’apprendre d’une manière plus ou moins parfaite la langue française, qui est celle de la vie plus active, et le quart des Flamands est compté parmi les « bilingues » de la Belgique ; en outre, le marché du travail sollicite chaque année une centaine de mille Belges occidentaux de langue thioise à passer des semaines ou des mois en France dans les champs ou sur les chantiers, sans compter tous ceux qui vont s’établir définitivement outre-frontière. Devenus maintenant, grâce à une longue domination du régime clérical, ceux qui participent le plus amplement à la possession du pouvoir, à la distribution des titres, des honneurs, des places et des sinécures, les Flamands se complaisent volontiers aux ambitions d’un patriotisme exclusivement belge, mais il ne manque pas de voix flamandes qui parlent en faveur d’une alliance plus intime avec les Pays-Bas. L’empire germanique menace à l’est et son objectif principal est la ville d’Anvers, qui, se trouvant sur la route directe de l’Allemagne vers la Manche, subit l’ascendant du pays dont le commerce lui profite ; Anvers est un très grand port allemand d’expédition vers l’Angleterre et les pays transocéaniques, et les chemins de fer belges sont les agents naturels de l’influence allemande. La Belgique est un morceau d’autant plus désirable aux yeux des annexionistes