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l’homme et la terre. — latins et germains

avait fait comprendre à la souveraine des Pays-Bas, devenue vassale par son mariage, qu’il était prêt à faire marcher ses troupes en cas de désordre ou de grèves prolongées. Est-il vrai que l’Empereur ait parlé en maître ? Peu importe, puisque l’opinion suffit à créer la situation politique. La Hollande se sent en danger, et son cas est d’autant plus grave qu’elle est absolument incapable de se défendre ; comme un navire trop chargé de voilure, elle risque de chavirer par la seule action de la tempête. Mais le sort de la Hollande entraîne également celui de l’immense empire colonial qui occupe, l’angle du monde asiatique, entre l’Indo-Chine et l’Australie. La perte ou simplement la diminution de l’autonomie politique des Pays-Bas déplacerait donc l’équilibre de la puissance, non seulement en Europe mais bien plus encore dans la région de ses antipodes. L’Insulinde est le joyau de la planète, et l’on se demande quel maître étranger va succéder aux Hollandais comme possesseur de ces merveilles, puisque malheureusement les indigènes ne s’y gouvernent point eux-mêmes ! Certainement la Grande Bretagne a l’intérêt le plus essentiel à ne pas laisser l’empire allemand compléter son littoral par l’annexion de la Hollande et à ne pas permettre qu’une nouvelle Inde se constitue au profit de sa rivale ; mais pour appuyer sa volonté, il faut qu’elle ait la force en main.

Malgré l’étendue considérable de leurs domaines réunis, les trois royaumes qui constituent la Scandinavie ne représentent dans le monde européen qu’un ensemble politique de troisième grandeur. D’ailleurs, si les terres sont vastes, elles sont, en proportion de la surface, très faiblement peuplées : une dizaine de millions d’habitants ne sont que bien peu de chose dans le voisinage immédiat de la puissante Allemagne, de l’immense Russie et des îles Britanniques aux colonies innombrables.

Deux faits récents dominent la politique des pays scandinaves, enfin libérée de la crainte du « Colosse du Nord » : l’humiliation de la Russie en Extrême Orient et la scission de la Norvège d’avec la Suède. Il faut voir dans ce dernier acte, rendu possible par les défaites de Liao-Yang et de Moukden, une victoire du principe de nationalité, nationalité linguistique, nationalité géographique, modelée par le contraste de la montagne et de la plaine, de la mer toujours ouverte à l’ouest et du bassin périodiquement couvert de glaces à l’est. La victoire fut pacifique, ce qui prouve l’assagissement graduel de l’humanité, mais elle fut incom-