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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

voir dans cette alliance Le contre-coup de la guerre franco-allemande : les rapprochements spontanés entre nations se font très souvent sous l’influence d’une haine ou d’une crainte commune. Il est certain qu’en dehors des confabulations officielles et des grimoires diplomatiques, une réelle sympathie se manifeste entre Français et Russes, faite pour une grande part de l’aversion dont les uns et les autres se sont en majorité laissé envahir à l’égard des Allemands. De même, au moyen âge, pendant les longues dissensions de l’Angleterre et de la France, celle-ci eut toujours l’Ecosse pour alliée naturelle ; malgré la différence complète des milieux, et du genre de vie, l’amitié naissait de la guerre contre l’ennemi commun. Dans une certaine mesure on pourrait comparer l’ensemble des nations à une batterie électrique où des métaux et des liquides différents, juxtaposés en ordre alternatif, développent un courant par leurs électricités contraires. Quoi qu’il en soit, l’alliance des États situés aux deux foyers de la grande ellipse d’Europe n’a pu être conclue sans entraîner un double résultat, la russification morale de la France, admise parmi les puissances correctes, et la francisation morale de la Russie, placée dans une situation absolument contradictoire par sa politique étrangère et par son autocratie traditionnelle à l’intérieur. La Duplice contribue bien malgré elle à ce chassé-croisé d’attractions qui désagrège peu à peu l’unité verbale de chaque pays et lui substitue, d’une part l’entente naturelle, mais le plus souvent tacite, de tous les peuples, et de l’autre, l’intérêt commun de tous les gouvernements : certainement le résultat de l’intimité franco-russe sera de hâter l’échéance de l’inévitable révolution dans le grand empire slave. L’évolution extérieure aide à l’évolution intérieure.

De même que dans tous les autres États, il se fait en Russie un travail d’unification sous la pression de deux forces bien différentes, l’une spontanée, provenant du fonctionnement naturel de la vie, l’autre brutale et destructive, inspirée par la hiérarchie gouvernementale. Tout d’abord l’unité matérielle du pays, donnée par le creusement des canaux, la navigation des rivières et la construction des chemins de fer, est une nécessité première, à la fois conséquence et cause du rapprochement des hommes et de la solidarité économique des intérêts. A cet égard la Russie doit forcément s’unifier, régler son mouvement intérieur, en des foyers de vie de plus en plus actifs, et ramener ses frontières vers le centre, tout en accroissant prodigieusement les