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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

partie très considérable de l’empire, contenant environ le douzième de tous les habitants de l’immense domaine, elle est aussi la contrée la plus avancée du côté de l’Ouest et fait déborder circulairement en pleine Allemagne la ligne des frontières, c’est-à-dire qu’elle est le véritable Occident de l’Empire, autrement dit la part la plus civilisée et, malgré l’oppression politique, celle qui est encore le plus développée par les forces intellectuelles. Les Polonais ont parfaitement conscience d’avoir été les civilisateurs, les porteurs de torches pour l’Orient de l’Europe et en ont d’autant plus de rancune contre ces disciples rebelles, qui les ont si barbarement asservis. Ce n’est pas tout : la Pologne est par excellence la place d’armes pour l’attaque, la citadelle de défense contre l’Allemagne et, par conséquent, c’est elle qui, en cas de guerre, aurait le plus de risques à courir, le plus de maux à subir pour l’ensemble de cet empire dont elle est à la fois le souffre-douleur et, par son industrie, le travailleur le plus actif. Ces conditions historiques et économiques donnent à la Pologne une situation toute particulière dans l’ensemble de l’Europe, dont elle occupe exactement le centre géométrique. Elle est moralement en guerre d’indépendance contre la Russie et non moins en lutte contre l’Allemagne, qui opprime, persécute, outrage de toutes les manières les Polonais que l’ancien partage lui avait attribués.

Il n’y a trêve que du côté du sud : l’Autriche, tiraillée dans tous les sens par les nationalités en conflit, a tout intérêt à ménager les Polonais, qui participent largement aux positions honorifiques ; mais, là, ceux-ci ne peuvent point se considérer comme innocents envers les Ruthènes du crime d’oppression qu’ils reprochent aux Russes et aux Allemands. Les paysans ruthènes labourant le sol dans les domaines de la seigneurie ou szlachta polonaise ont souvent raconté leurs misères. Ainsi la violation du droit contre les peuples de la contrée a créé dans ces régions de l’Europe une situation qui reste sans issue sous le régime des politiques impériales de caprice et de bon plaisir.

Sur les bords de la Baltique, autre lutte des nationalités, mais plus compliquée et moins franche dans ses allures. Là ce sont les Allemands, au nombre d’environ cent vingt mille, dont les droits naturels sont violés, notamment par la russification de leur université de Dorpat — désormais connue sous le nom russe de Youryev —, où leurs jeunes gens étudiaient sous des professeurs de langue et d’éducation germaniques. Mais ces colonies allemandes, dont le centre est la ville de