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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

bénie par Ormuzd, le dieu du Bien, et la voilà maintenant livrée au dieu du Mal. C’est que l’ambiance elle-même, comme tous les autres phénomènes, a son évolution dans l’infini des choses. Sans doute la Perse a gardé ses monts, ses déserts, son climat, mais ses peuples, quoique encore les premiers par raffinement de l’intelligence, ont changé d’industrie, de langue, de religion, de mœurs ; sa puissance est devenue faiblesse relativement à la force des contrées environnantes. Les centres de vie politique se sont déplacés à la surface de la terre, et, fait de premier ordre dominant tous les autres, le monde solidaire de la civilisation commune s’est immensément agrandi autour du plateau de l’Iran. Aux siècles primitifs de l’histoire, c’est à la Babylonie, au pays d’Assur, à l’Arménie, à la Margiane, à la Bactriane que les habitants des hautes plaines de Perse avaient affaire ; maintenant c’est à des puissances qui commandent aux extrémités de l’Ancien Monde et dont les capitales se trouvent en des contrées complètement ignorées des Darius et des Chosroès. La Russie et l’Angleterre sont à présent les deux suzeraines rivales dont le gouvernement de la Perse doit avoir le constant souci d’étudier les volontés et les caprices, de courtiser les faveurs, d’éviter les colères, de prévenir les vœux. Rien n’eût été plus facile pour elles que d’étendre la main sur le pays et de s’en emparer sans coup férir, si elles avaient pu s’entendre sur la ligne des frontières et si n’était sous-entendue une certaine obligation de décence diplomatique à ne se point hâter en matière d’annexions. Depuis 1430, on se montre dans le Seïstan, entre Ghirichk, sur l’Helmend, et Farah, le lieu de la future bataille où doit se décider le sort de l’Asie[1]. Lorsque cette prophétie se répandit dans le monde iranien, on ignorait quels peuples s’entre-choqueraient dans le grand conflit ; on sait maintenant que ce sont les armées des Russes et des Anglais.

C’est au milieu du dix-huitième siècle que la marine britannique fonda son premier établissement sur la terre de l’Iran, à Bouchir, l’un des ports du golfe Persique. Pour les Anglais, c’était une conséquence nécessaire de la conquête des royaumes hindous qu’ils étaient alors en train d’accomplir. Il leur fallait absolument posséder, soit en maîtres, soit en concessionnaires usagers, des lieux de ravitaillement et d’étape sur le chemin militaire des Indes. Ils s’installèrent à Bouchir par la

  1. A. Vambéry, La Géographie, 15 mars 1901.