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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

de nation ou de profession spéciale. A mesure que les points de contact se multiplient, la compréhension mutuelle s’accroît : on arrive à se pénétrer l’un l’autre, non seulement par la pensée, mais encore par l’instinct. Mais il faut qu’il y ait sympathie, attraction naturelle : le marchand qui ne voit dans ses transactions avec l’indigène que des taels à gagner, le missionnaire qui se borne à baptiser les mourants pour les envoyer en paradis, le militaire qui gagne la croix en transperçant des ventres de poussalis, ceux-là certainement ne feront rien d’utile pour la pénétration mutuelle des génies de l’Orient et de l’Occident et leur fusion en une compréhension supérieure vraiment humaine. L’industrie européenne qui conquiert la Chine fera déjà beaucoup pour amener une plus intime union, car c’est à des ouvriers chinois que sont confiés l’entretien et la conduite de tous ces engins révolutionnaires qu’on appelle bateaux à vapeur, locomotives, dynamos. Bien plus, la science, la vraie, celle qui observe, expérimente et compare, pénètre dans les écoles chinoises. Les géographes de la Fleur du Milieu se résignent à croire que la Chine ne constitue pas à elle seule presque tout le monde habitable et que les « barbares » n’en occupent pas seulement les « coins ». Tous ceux qui étudient changent L’orientation de leur pensée et l’ampleur de leur horizon : aux ouvrages de Confucius et d’autres philosophes moraux, ils ajoutent l’étude des économistes et des savants modernes de l’Occident ; ils vont jusqu’à réformer leur pratique médicale, quoique les médecins d’Europe ne puissent pas encore leur apporter de méthodes assurées pour le traitement de chacun des cas particuliers. Tout change et se transforme : la musique de nos artistes européens, à laquelle on croyait les Chinois absolument rebelles, a fini par triompher de leur atavisme, et Canton, Changhaï, Fu-tchéou apprécient déjà très judicieusement la « musique de l’Avenir ».

Des puissances qui se disputent actuellement des lambeaux du territoire chinois, il n’en est en réalité que deux dont les annexions puissent être considérées comme de nature à repétrir la population locale au point de l’absorber dans une nationalité différente. Ces deux puissances sont la Russie et le Japon dont les empires confinent à celui du Milieu, et qui, par la pénétration constante des immigrants et des mœurs, par des mariages, arrivent à transformer les annexés jusque dans leur conscience politique. Pareil résultat, ne saurait être évidemment dans l’ambition de la France, quelque étendue que puissent acquérir un jour ses emprises sur