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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

sionner même. L’exemple le plus frappant de ce renouvellement du Japon est l’abandon de la coutume du harakiri ou suicide par point d’honneur dont les nobles japonais s’entretenaient avec un si farouche orgueil et que, d’ailleurs, ils ont eu le bon esprit de ne pas remplacer par le duel à la française.

Néanmoins, des observateurs maussades, étonnés et comme froissés de cette fièvre d’imitation qui s’était emparée d’une partie du peuple japonais après l’ouverture des ports au commerce étranger, nous avaient prédit que ce beau zèle ne durerait point et qu’on verrait un beau jour tous ces gens de race aïno, malaise ou polynésienne rejeter avec horreur les importations d’autres races ; mais la prophétie n’avait aucune chance de réalisation, ce qui n’a pas empêché d’ailleurs la réaction de se produire, en ce sens que les Japonais obtempèrent à l’ancien exclusivisme national et tiennent à honneur d’éloigner de leur gouvernement tous les anciens éducateurs : il leur convient de marcher seuls et de déchirer les lisières. N’est-ce pas la meilleure preuve qu’ils ont bien appris leur rôle et que les idées acquises ne sont point de simples banalités de surface ? Ils savent, à n’en pas douter, que les observations de leurs savants, les découvertes de leurs naturalistes, les constructions de leurs ingénieurs sont des œuvres de bon aloi, dignes de figurer à côté de travaux analogues des émules occidentaux. En outre, ils ont cette faiblesse, dont aucune fraction de l’humanité n’est exempte, de revendiquer leurs gloires « nationales » comme ayant une valeur exceptionnelle ; ainsi que nous, ils ont leurs arrogants jin-go, grotesque tribu de vantards dont le nom a mérité de traverser l’Océan, puisque partout on retrouve cette insupportable engeance.

Ce qui empêche de douter que les transformations politiques et sociales du Japon sont bien réellement des changements définitifs, ne permettant plus de retour en arrière, c’est qu’elles ont passé, pour ainsi dire, par l’épreuve du feu. Les éléments de renouveau se sont heurtés contre une réaction formidable et n’ont pu triompher que par des guerres intestines, des révolutions et des contre-révolutions. La résistance des daïmio ou seigneurs féodaux et des nobles ou samouraï dura pendant une quinzaine d’années, se déroulant avec une ampleur superbe d’épopée et brisant absolument les moules traditionnels de la société du moyen âge. Ce sont des faits sur lesquels il n’y a plus à revenir. On vit cette chose monstrueuse naguère : des mariages de classe