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Par un phénomène contradictoire en apparence, l’armée cléricale devient plus nombreuse à mesure que la croyance s’évanouit. C’est que les forces ennemies se massent de part et d’autre. L’Église a groupé derrière elle tous ses complices naturels auxquels il faut des esclaves à commander, rois, militaires, fonctionnaires de tout acabit, voltairiens repentis et jusqu’aux honnêtes pères de famille qui veulent qu’on leur élève des enfants bien sages, stylés, gracieux, polis, de belles manières, se gardant avec prudence de tout ce qui pourrait ressembler à une pensée.

« Que nous racontez-vous là ! » dira sans doute quelque politicien que passionne la lutte actuelle entre les congrégations et le « bloc républicain » du Parlement français. « Ne savez-vous pas que l’État et l’Église sont définitivement brouillés, que les crucifix, les images des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie vont être enlevés des écoles et remplacés par de beaux portraits du Président de la République ? Ne savez-vous pas que les enfants sont désormais soigneusement préservés de la lèpre et des superstitions antiques et que des instituteurs civils leur dispenseront une éducation fondée sur la science, débarrassée de tout mensonge, toujours respectueux de la liberté ? » Hélas ! nous savons bien qu’on se dispute là-haut parmi les détenteurs du pouvoir ; nous savons que les gens du clergé, les séculiers et les réguliers sont en désaccord sur la distribution des prébendes et du casuel ; nous savons que la vieille querelle des « investitures » se continue de siècle en siècle entre le pape et les États laïques ; mais cela n’empêche pas que les deux détenteurs de la domination, religieux et politiciens, ne soient au fond d’accord, même dans leurs excommunications réciproques, et qu’ils comprennent de la même manière leur mission divine à l’égard du peuple gouverné. Les uns et les autres veulent asservir et par les mêmes moyens, les uns et les autres donneront aux enfants le même enseignement, celui de l’obéissance. Du moins, parmi ces éducateurs à rebours, les prêtres sont-ils les plus logiques, puisqu’ils prétendent représenter Dieu, le Créateur et Maître Universel. Hier