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l’homme et la terre. — milieux telluriques

ses bas-fonds, ses roches, ses bancs de sable, et se rassure en voguant sur les flots immenses[1].

Les mers ont d’ailleurs une force d’attraction toute particulière qui leur vient de l’alternance du flux et du reflux, invitant deux fois par jour les habitants du littoral à cheminer sur le lit abandonné momentanément par la marée : on aime à s’avancer à la poursuite des flots, puis à fuir devant eux, quand ils s’élancent de nouveau à l’attaque de la rive.

On apprend à faire connaissance avec la mer, à deviner les abîmes qu’elle recouvre, à étudier son action sur les plantes et les animaux. Pour les gens de la côte, la nourriture habituelle consiste presque exclusivement en poissons et autres « fruits de mer » que l’on trouve surtout dans les flaques, entre les pierres des récifs, au milieu des fonds de sable ou de vase.

Mais l’âpre recherche du gibier marin et, chez les jeunes, l’esprit d’aventure devaient entraîner les riverains de l’Océan à dépasser la zone soumise aux marées. Comment les enfants auraient-ils pu échapper à l’enthousiasme du jeu et de la lutte contre les vagues ? Ils voient les ondes qui s’alignent au loin en longues rides, puis se gonflent de plus en plus à l’approche du rivage et s’avancent comme les colonnes d’une armée en bataille ; bientôt elles se hérissent en crêtes aiguës, se recourbent en crinières d’écume, et s’écroulent successivement, ajoutant chacune le fracas de sa lourde masse au tonnerre continu des brisants, au sifflement des fusées qui s’élancent obliquement à la plage. Ce mouvement, ce tumulte donnent une ivresse nouvelle à l’adolescent ivre de sa force : il se précipite dans le bouillonnement des eaux, se bat contre le flot qui le soulève et le renverse, le traîne sur les galets, mais, s’aidant d’un brusque reflux, il reparaît à la surface, au delà du cordon des eaux croulantes, et le voilà qui se joue comme un triton sur l’onde plissée se déroulant au large.

Grâce à ces jeux de force et d’adresse, l’homme, aux prises depuis son enfance avec la puissante mer, arrive à s’y mouvoir comme un amphibie. Ce que les voyageurs nous racontent des Carolins, des Mélanésiens, des Polynésiens et autres insulaires vivant dans les eaux tièdes des mers tropicales semble tenir du merveilleux. Pen-

  1. Breusig, Die Geschichte der Nautik bei den Alten.