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l’homme et la terre. — potamie

permettent à von Ihering d’affirmer que les Babyloniens avaient aussi sur la poitrine ce « triple airain » qui leur permettait d’affronter les vagues. La construction des navires, nouvelle conquête de l’industrie qu’inspira probablement aux Chaldéens la forme du poisson, — proue et poupe effilées, quille représentant l’épine vertébrale, membrures se substituant aux arêtes et rames aux nageoires, — fut facilitée par certaines conditions naturelles : le pétrole qui s’écoule en lentes fontaines aux bords du Tigre et dans les vallées voisines fournissait en abondance le goudron nécessaire. Quelle que fût la forme des embarcations, elles consistaient toujours en une légère charpente, recouverte d’une natte et enduite de bitume[1].

Le golfe dit « Persique » et qui fut aussi le golfe Babylonien présente, le long des côtes d’Arabie, un chemin très facile vers l’île de Bahreïn, dont les perles avaient une si grande valeur et que d’innombrables ruines nous montrent avoir été un centre considérable de population et de commerce[2]. Dans ce voyage à proximité de la côte, les matelots n’avaient pas à quitter le bassin naturel que leur offrait le golfe frangé de ports ; nulle part ils ne perdaient de vue les rivages de la terre ferme ou les archipels du littoral, et c’est ainsi qu’ils firent leur apprentissage avant de s’aventurer dans la grande mer, soit au sud-est, dans les espaces sans bornes de l’océan Indien, soit à l’ouest, dans les golfes, détroits et parages limités des eaux phéniciennes, cypriotes et Cretoises. Comme champ d’évolution, la mer Persique était, il y a huit mille ans, plus allongée que de nos jours : le golfe pénétrait beaucoup plus avant dans l’intérieur des terres ; l’Euphrate, le Tigre, le Karun ne s’unissaient point en un même delta, et pour se rendre de Suse à Ninive ou à Babylone, il fallait se hasarder sur la mer. On sait par des inscriptions cunéiformes que Sennacherib, puis Assurbanipal eurent à lutter contre les flots pour conduire des expéditions de guerre dans le pays d’Elam. À cette époque, moins de trente siècles avant nous, la plage marine de la Chaldée était au bas mot 100 kilomètres plus au nord ; depuis cent ans le progrès annuel des alluvions est évalué à un peu plus de 50 mètres[3].

La légende du déluge décrit le bâtiment de Sitnapichtim (Zisuthros,

  1. R. von Ihering, Les Indo-Européens avant l’histoire ; — Frédéric Houssay, Annales de Géographie.
  2. Stiffe ; — Loftus ; — A. de Gerlache, Notes manuscrites.
  3. Loftus, Ainsworth, Lyell, Cari Ritter, de Morgan, etc. (Voir page 523).