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l’homme et la terre. — milieux telluriques

suffirait que le groupe blanc le plus pur, le plus intelligent et le plus fort résidât, par un concours de circonstances invincibles, au fond des glaces polaires ou sous les rayons de l’équateur, pour que toutes les idées, toutes les tendances, tous les efforts y convergeassent. »[1]. Sous une forme plus vigoureuse encore, Driesmans nous dit qu’une forte race porte en elle-même son milieu »[2]. L’expérience a donné le démenti à ces assertions hardies, et l’on a vu récemment, dans les régions polaires, des expéditions composées de voyageurs appartenant à la race que Gobineau exalte par dessus toutes se livrer au cannibalisme, même hâter la mort de faméliques. Les enquêtes officielles ont eu raison de glisser légèrement sur ces incidents lugubres.

Les Eskimaux ou Innuit, c’est-à-dire les « Hommes » de l’Amérique du Nord, de même que les Lapons de l’Europe, les Samoyèdes et les Tchuktchi de l’Asie, portent dans toute leur personne et leur genre de vie le témoignage évident de l’action dominante du froid. D’abord, ils sont très peu nombreux, ce qui provient de la pauvreté des ressources que leur offre la terre arctique, recouverte de glaces sur la plus grande partie de son étendue. Sur un espace d’environ 7 000 kilomètres de l’est à l’ouest, de la côte orientale du Groenland au territoire des Tchuktchi, dans la Sibérie, — région d’environ vingt millions de kilomètres carrés, égale à quarante fois la France, — il y a moins de cinquante mille Eskimaux de race pure ou croisée, et, parmi eux, les indigènes qui, restés complètement à l’écart du monde européen, ont conservé la pureté de leur sang, ne dépassent certainement pas le nombre de quinze mille : le pays des Eskimaux est, en proportion, de quatre à cinq mille fois moins peuplé que le reste de la Terre. Leur nombre croit du reste assez rapidement au Groenland : l’augmentation a été de près de 10 % dans les dix dernières années du dix-neuvième siècle.

Si parsemés sont ces hyperboréens qu’en maints endroits les groupes, s’étant complètement perdus de vue, ignoraient l’existence les uns des autres. Telle était naguère la bande la plus septentrionale des Groenlandais, composée d’une vingtaine d’individus errant dans les solitudes glacées du nord, entre le détroit de Smyth et la mer Paléocrystique. En 1818, lorsque Ross les rencontra sur la plage d’Etah, au nord

  1. Inégalité des Races.
  2. 2. H. Driesmans, Wahlverwandtschaften der deutschen Blutmischung, p. 1.