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l’homme et la terre. — grèce

Pendant son absence, les Grecs avaient délibéré : s’en tiendraient-ils strictement à leur promesse et s’en retourneraient-ils dans leurs terres d’Ionie en laissant le « Grand Roi » aux prises avec les Scythes et la faim et l’hiver, ou bien sauveraient-ils l’armée des Perses, au risque de la retrouver un jour maîtresse de la Grèce ? Le dernier avis prévalut, presque tous les chefs ioniens ayant opiné que leurs intérêts personnels étaient absolument solidaires de ceux du roi leur allié et maître. En qualité de « tyrans » de leurs villes, ne tenaient-ils pas leur pouvoir de Darius, et celui-ci renversé, ne seraient-ils pas renversés à leur tour ? Le parti aristocratique ne serait-il pas obligé de céder les places et les honneurs au parti populaire ? Ainsi les dissensions des cités se continuaient dans les camps, et cette fois, elles eurent pour conséquence d’augmenter singulièrement la force d’attaque de la Perse contre les Grecs.

Cette campagne de Scythie, qui aurait pu facilement entraîner pour Darius un désastre irréparable, se termina donc de manière à resserrer le blocus que le roi de Perse et les tyrans alliés avaient établi autour des cités où le peuple jouissait d’une part dans le gouvernement. Le choc se préparait et la signification profonde des intérêts en jeu était si bien comprise que lorsque la guerre éclata, amenée par le ressentiment d’Aristagoras, le tyran de Milet, celui-ci commença par déposer le pouvoir devant le peuple assemblé et fit proclamer de nouveau l’isonomie ou égalité des droits entre citoyens, puis il livra à leurs villes affranchies divers tyrans qu’il avait faits prisonniers[1]. Mais il lui fallait de plus puissants alliés que les insulaires des Cyclades et que les Ioniens de l’Asie Mineure restés encore indépendants ; il partit donc pour la Grèce proprement dite, porteur de la première carte géographique mentionnée par l’histoire, la table d’airain sur laquelle Hécatée de Milet avait tracé la forme du monde connu. Muni de ce document stratégique, Aristagoras essaya de démontrer aux « pasteurs des peuples » que le temps était venu d’abandonner les petites guerres intestines, les expéditions de rancune et de pillage entre cités, et qu’il fallait s’en prendre au grand ennemi, au roi des Mèdes et des Perses, l’attaquer au besoin dans sa capitale, la distante Suse. Les Spartiates, plus aristocrates que patriotes, refusèrent leur appui, tandis que le

  1. Hérodote, Histoires, v. 37, 38.