Page:Reclus - La Peine de mort.djvu/7

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les membres de la société à des coureurs auxquels un César quelconque fixerait le même but. L’un des concurrents est jeune, agile, dispos, un autre est déjà vieux : il en est de malades, de boiteux, de culs-de-jatte. Serait-il juste de condamner les derniers : les uns à la misère, les autres à l’esclavage ou à la mort, tandis que le premier serait couronné vainqueur ? Et fait-on autre chose dans la société ? Les uns ont des chances de bonheur, d’éducation et de force : ils sont déclarés vertueux ; les autres sont condamnés par le milieu à rester vautrés dans la misère ou dans le vice : c’est sur eux que doit tomber la vindicte sociale ?

Mais il est encore une autre cause qui défend à la société bourgeoise de prononcer la peine de mort. C’est qu’elle-même tue et tue par millions. S’il est un fait prouvé par l’étude de l’hygiène, c’est que la vie moyenne pourrait être doublée. La misère abrège la vie du pauvre. Tel métier tue dans l’espace de quelques années, tel autre en quelques mois. Si tous avaient les jouissances de la vie, ils vivraient comme des pairs d’Angleterre, ils dépasseraient la soixantaine, mais condamnés pratiquement soit aux travaux forcés, soit ― ce qui est pis ― au manque de travail, ils meurent avant le temps, et pendant leur courte vie, la maladie les a torturés. Le calcul est facile à faire. C’est au moins 8 à 10 millions d’hommes que la société extermine chaque année, en Europe seulement, non en les tuant à coups de fusils, mais en les forçant à mourir en supprimant leur couvert au banquet de la vie. Il y a dix ans, un ouvrier anglais, Duggan, se suicida avec toute sa famille. Un infâme journal, toujours occupé à vanter les mérites des rois et des puissants, eut l’impudence de se féliciter de ce suicide d’ouvrier. « Quel bon débarras, s’écria-t-il, les ouvriers pour qui il n’y a pas de place, se tuent eux-mêmes, ils nous dispensent de la besogne désagréable de les tuer de nos mains. » Voilà le cynique aveu de ce que pensent tous les adorateurs du Dieu Capital !

Quel est donc le remède à tous ces meurtres en masse, en même temps qu’aux meurtres qui se commettent isolé-