Page:Reclus - Le Pain.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
le pain

faisait Dieu et Dieu se faisait homme ; les morts réagissaient sur les vivants et les vivants sur les morts. Depuis l’établissement des repas avec les morts et surtout avec le « premier-né d’entre les morts », la communion s’est faite si intime entre notre monde et les mondes d’en haut et d’en bas que même aux mythologues, aux mythologues surtout, il est devenu impossible de distinguer entre les génies célestes et les infernaux.

Par d’innombrables exemples, on prouverait que du Japon, de la Chine jusqu’aux Alpes, que des Pyrénées jusqu’au pays des Damara et des Bambarra, a régné toujours et règne encore la doctrine que tous ceux qui mangent du même aliment acquièrent mêmes désirs et mêmes volontés, mêmes haines et mêmes amours, qu’une identique nourriture crée la plus étroite liaison entre ceux qui y participent, les uns fussent-ils morts et les autres vivants, les uns fussent-ils des dieux et les autres d’éphémères créatures. Une sympathie non moins puissante que celle de l’amour, disait-on, devait unir, au moins pendant quelques heures, ceux qui avaient puisé la force et la vie à une même source. Ces heures, il fallait souvent qu’elles fussent décisives. Après avoir ingéré le sacrement, on prenait des résolutions importantes, on accomplissait les grands actes de l’existence, on risquait le mariage, un duel ou la bataille, on portait témoignage, on jurait des serments, on partait pour un lointain pays, on se préparait à la mort. On n’était plus un, on était deux et on avait Dieu pour second.

Déjà, vers l’année 250, aucun chrétien ne doutait plus que la Sainte-Cène ne fût la répétition du mystère de la Passion. Christ, pensaient-ils, éternelle victime, est offerte tous les jours en sacrifice, il ne cesse d’être en tous lieux immolé par le prêtre qui n’est autre que le sacrificateur juif opérant sous un autre nom, mais toujours pour le même Dieu. À la faute d’Adam correspond la mort du Fils de Dieu, mais nonobstant cette mort, le péché du monde étant incessant, il faut que, pour le laver et l’effacer, coule un flot perpétuel de sang divin. L’imagination des fidèles ne pouvait faire autrement que chercher le sang toujours découlant de l’hostie, et le cherchant, elle ne pouvait manquer de le voir. Est-ce que la foi ne rend pas