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Consentirais-tu à ce que je reste encore avec toi, en toi, afin de prolonger ces douces heures ?

Amie nocturne qui revient, qui s’en va, et que je crois à jamais perdue, qu’est-ce qui te rappelle, et à ton heure ? Je ne sais.



1902. — Le sens du mystère, c’est d’être tout le temps dans l’équivoque, dans les double, triple aspects, des soupçons d’aspect (images dans images), formes qui vont être, ou qui le seront selon l’état d’esprit du regardeur. Toutes choses plus que suggestives, puisqu’elles apparaissent.

Mais ce sens appliqué à la peinture demande chez l’artiste un tact, une mesure infinie plus que pour tout autre, et le public ne s’en doute pas. C’est un art qui demande, plus que pour tous les autres, un artiste conscient à toutes les minutes de sa gestation.

Par des révélations qui ne l’amoindriront pas, il y a chez Delacroix une scission très sensible entre l’homme et l’artiste. Quiconque a étudié son œuvre y voit sans peine qu’il fut admirablement organisé pour la produire et la mener à sa fin. Sa constance, son opiniâtreté, sa méthode, son acharnement a produire, le soin quotidien qu’il prenait de se tenir en éveil sur les maîtres qu’il aimait, ses études secrètes et particulières, en un mot ce que tout créateur, quel qu’il soit, poursuit sans cesse, il en avait la loi et la formule, et le temps présent est mal choisi, pour récriminer sur la forme ou le mode d’expression qu’il employa. Il fut lui-même d’un bout à l’autre de sa carrière ; cela est quelque chose ; le reste importe peu.

D’ailleurs, n’y a-t-il pas chez tout artiste véritable un être incompris de ceux qui ne le sont pas ? L’être instructif, abandonné, qui se récrée dans ses procédés mêmes, semble parfois