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si le ciel y est un peu bas et les nuages trop lourds pour y laisser nos rêves, quelques-uns de ces artistes ont toutefois marché dans leur chemin résolument, virilement, avec la crânerie des réfractaires convaincus qui tiennent pour un instant une part de vérité dans la vérité. Si l’édifice qu’ils ont construit n’a pas de perspectives profondes, l’air du moins y est pur, et l’on y respire.

Bresdin ne connut pas leurs luttes parce qu’il était d’un autre temps ; il était de 1822. Et le petit village où il est né ne lui avait mis sous les yeux, en son enfance, que les paisibles tableaux agrestes de la campagne. Il ne songea pas à les faire mieux, il les aima. Tout bambin déjà, il griffonnait et gravait sur le cuivre, et le curé du village, surpris de ses essais, fut, m’a-t-il dit, son premier protecteur. Oh ! le bon curé, qui ajoutait à l’austère exercice de son ministère un peu de sollicitude pour l’art. Tolérant aussi quelque émancipation, il éclaira les parents de Bresdin sur la vocation de l’enfant, et leur conseilla de le laisser partir pour suivre autre part, en meilleur milieu, un autre avenir que celui qu’on lui préparait. C’est que son père était tanneur.

Dans quelle région, dans quel monde social venaient surgir en cet enfant des dispositions si précieuses pour aboutir plus tard à la fleur rare de l’originalité ! Il est à croire que, dans la suite, lorsque Bresdin grava les images touchantes de la Fuite en Égypte, ce sujet qu’il aimait et qu’il varia si souvent, il est à croire qu’il songeait au bon curé qui lui avait montré la divine étoile. Il ne fit aussi que pérégriner toujours en imagination vers des mondes meilleurs. Il dessinait des familles en voyage, des barbares en émigration, des armées, légions ou peuplades en fuite. Je ne saurais insister sur l’abondance et la variété de ses œuvres que l’on ne connaît point, et parce que les épreuves en sont rares et peu multipliées.

Il m’a dit que sa mère était du monde de la noblesse, je crois du moins m’en souvenir, et cette origine expliquerait peut-être les traits disparates du caractère que l’on voyait en lui. Il était