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de révélation créatrice, issue de la beauté de ses propres œuvres.

Il n’en est pas ainsi aujourd’hui. Mon ami Stéphane Mallarmé, toujours par un esprit de belle indépendance, désirait l’abolition du lycée, autant que celle de la guillotine.

Peut-être songeait-il aux exigences de sa vie de professeur, mais il songeait aussi, sans aucun doute, aux à peu près insuffisants de l’enseignement que l’étudiant reçoit, et partage, tout à la fois, dans un bloc de camarades. Il s’y cherche plus difficilement que lorsqu’il est seul, sans contrainte.

Pour ne parler ici que de l’élève peintre à l’académie, je le compare à la graine que le semeur a jetée dans le champ pour être mise en fécondation à tout hasard par la charrue qui passera aveuglément sur elle, jetant de la terre propice ou non, au petit bonheur.

La charrue, c’est la règle, le lycée, l’académie de peinture, le maître sans amour peut-être et indifférent, qui vient à heure et jour fixes, puisqu’il fonctionne. L’élève est là bien loin du doux et bienfaisant loisir, et des heures bénies où l’intuition le guidera.

Je crois à un enseignement fructueux par communication naturelle, à côté d’un maître de notre choix, et même dans son intimité si possible, tel qu’il se pratiquait naguère.

Auprès de Bresdin, on n’oubliait pas plus le culte de la nature que celui des maîtres, particulièrement de Rembrandt qu’il adorait. « Rembrandt, disait-il encore, ne peignait que des gueux, des perclus, des goutteux, et pourtant quelle noblesse, quelle élévation, quelle poésie, quel divin : il a du dieu ! »

J’aimais à donner à ce fervent disciple quelque chose du maître qu’il vénérait. Comme lui, il habitait une humble banlieue, où son aspect et ses allures inspiraient quelque méfiance à la population des pauvres gens qui l’entourait, on s’en apercevait. Il était lui-même mystérieux. Il l’était, non par dédain, mais par supériorité naturelle, et pour garder, vierges et plus actives, les