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On cherche non moins vainement dans ses écrits une marque de soumission à sa destinée. Il parle dans une lettre d’une certaine vengeance « générale et particulière », comme si les applaudissements spontanés d’une assemblée de 2.000 personnes fussent l’acquittement d’une dette qui lui est due. « C’est beau, c’est sublime », s’écrie-t-il lorsqu’il entend pour la première fois son opéra des Troyens, et il fond en larmes, et les larmes versées ne l’apaisent point.

Berlioz fut un grand artiste, mais je lui préfère Schumann, Beethoven, parce qu’ils sont peuple. Celui-ci est presque un grand homme. La nature démocratique a sa noblesse aussi ; on chercherait inutilement dans Berlioz quelques points de ce genre. Il est partout lui-même, sarcastique, hautain et personnel, cela est vraiment incompréhensible en l’auteur du Requiem, et de tant d’œuvres où les sentiments tendres et passionnés de l’amour ont été exprimés si profondément. Il a souffert et grandement souffert sans nul doute et je me refuse à lui donner cette marque d’amour et de vénération que l’on donne si vivement au grand homme. Il fut martyr, Schumann poète.

(Décembre 1915.)




BERLIOZ

Une œuvre d’art ne s’épanouit qu’à son heure. Pour être bien comprise, elle a son moment : tel maître a fait son œuvre trop tôt, tel autre trop tard ; il est rare qu’une gloire heureuse grandisse librement pour un génie surtout de notre temps où chaque artiste, chaque penseur cherche sa voie et n’a d’autre initiateur de son œuvre que lui-même.

Que de pensées viennent en foule à mon esprit à l’appui de cette affirmation qui vient tout d’abord et tristement sous ma plume ;