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dement ces haillons, ces rides, ces fatigues exactes, qui sont bien des images inoffensives. La nature dans laquelle il les place est une terre cultivée, taillée, fécondée, et qui rappelle les promenades agrestes où s’écoulent les jours de loisir ; en tout rien de choquant ; tout ce qu’il faut pour devenir bientôt une image officielle du beau contemporain. C’est un intransigeant moins le naturel et la sincérité de l’élan, un libéral qui conserve tout ce qu’il faut être pour plaire et parvenir.

(Novembre 1882.)





PUVIS DE CHAVANNES

Aux grandes époques on peint à fresque ; mais aux autres que fait-on ? On peut certes couvrir les murailles de travaux importants ; on peut également traiter la peinture historique ; de fort belles pages peuvent être essayées dans l’art de la décoration ; mais on ne réussira facilement bien dans ces genres élevés qu’en traitant son sujet avec une modestie rigoureuse, avec cet esprit d’abnégation qui sait dicter à la main un travail simplificateur et sommaire. C’est ce que sait Puvis de Chavannes, et c’est pour cette raison qu’il a pu, sans s’écarter jamais du parti qu’il a pris, réussir si bien à peindre sur la pierre, tâche téméraire et hardie à l’égard de laquelle la critique s’est montrée trop sévère.

On ne comprendra pleinement l’œuvre de ce maître qu’en se mettant à son propre point de vue qui est celui-ci, sans nul doute : modeler la figure humaine et les arbres et toutes choses comme s’ils étaient au dixième, au vingtième plan ; la clef de son œuvre est là.

Regardez un objet lointain et voyez comme les lignes se simplifient, comme les plans se réduisent, comme l’écart des valeurs y est peu sensible. Les figures y ont une ombre, une lumière,