Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/77

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beaucoup de terre et des autres qui ne cherchent que l’idée et se perdent dans la recherche et vers la vérité.

L’imprimerie est un fait si important que nous sommes encore à son avènement ; l’esprit le plus distmgué peut se laisser prendre à ce qu’il y a de neuf et de frappant dans la lettre moulée et multipliée. De là, tant d’abus et d’injustice et aussi la raison de la considération subite qui entoure le publiciste.

Celui-ci ne pardonne plus à ceux qui ne mettent pas l’œuvre au jour quand même. Il me paraît être dans l’état du marié que l’on rencontre après six mois de mariage : Mariez-vous, vous dit-il, mariez-vous, ne faut-il pas se marier ?

L’autorité qu’un autre a sur nous ne vient pas de sa situation ou de sa renommée. Elle naît spontanément et à première vue chez celui dont nous sentons docilement la supériorité.

Les grandes épopées naturelles des époques en formation ont une plus grande part de beauté que les autres poèmes des Grands-Siècles.

En elles sont encore toutes vivantes l’âme et l’aspiration divine d’une génération entière. Les épopées sont les grands monuments de l’humanité : les œuvres purement littéraires disent beaucoup moins ; la traduction déjà leur enlève quelque part de leur beauté ; elles sont restreintes et beaucoup limitées dans le temps, et pour cela ne méritent qu’une importance secondaire.

Quant à l’épopée individuelle, qui est factice et plus strictement littéraire, elle dit peu et n’a pas longue chance de durée. Elle serait enlevée du rayon littéraire que l’histoire ne perdrait pas le plus indispensable de ses documents.

Quatrième jour. — Une petite ville, des gens sur les portes épiant. Les persiennes sont tirées et l’on sent des regards dirigés sur soi. Quelle triste misère que la vie qui s’écoule ainsi entre quatre rues, entourée de gens distraits qui mettent leur passion et leur vie à parler d’autrui ! Quelle gêne, quelle dépendance pour celui qui élève son esprit vers de nobles choses, et comme le