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semblait emplie d’un mystère ; au loin, comme auprès du berceau silencieux où il ne pleurait pas, l’on sentait palpiter l’inconnu surprenant, le principe d’une vie. Et ces jours furent à la fois anxieux, très doux et quasi religieux.

Au dehors, dans la campagne, Peyrelebade étant un hameau pour ainsi dire, il avait conquis la place, et l’on ne m’abordait plus que pour me dire, avant tout bonjour : « Il dort ? Comment est-il ? » Toute sympathie simple et vraie du paysan qui, depuis longtemps, jamais n’avait vu naître en nos murs. Les enfants me disaient : « Où est le petit monsieur ? » Ils venaient aussi s’approcher du berceau orné de gaze rose ; ils se soulevaient sur la pointe de leurs petits pieds pour l’apercevoir ; et ils me demandaient pourquoi, comme eux, il n’était pas grand.

Puis, le premier sourire. Il vint très tôt, dans le sommeil, en son deuxième mois, à une sortie ; il était tenu par sa mère, assise sur un banc ; j’attirai ses yeux en l’appelant, il me fixa longtemps et me sourit avec des yeux en larmes. Elles me gagnèrent.

A partir de ce jour, l’enfant quel qu’il soit, prélude à un poème. On en lira bientôt les strophes une à une, et son charme dominateur vous suivra partout. Il faut avoir vu naître pour lire ce verset de la vie si tendre, sensible, où toutes les grâces vont venir : l’amour instinctif de la lumière, la joie à tout ce qui se meut, le goût du mouvement et la curiosité de tout ce qui masse aux yeux : arbres, grands ciels, toutes les choses étincelantes vont lui parler. Jean eut toujours une extase devant la verdure, et ses pleurs rares furent évités vite en le plaçant sous le marronnier du jardin.

Et il n’est plus.

Le temps n’affaiblit pas l’émoi causé par une telle mort. Il peut donner prise à des activités qui remplissent les heures et passionnent à nouveau ; mais au silence, au premier loisir indolent, le rappel est sensible et le mal ouvre sa plaie. La mort d’un enfant laisse le cœur en litige, son souvenir est toujours l’avant-