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RELIGIONS

— Mais, monsieur…

Je le coupai net :

— Vous aviez l’air de renoncer, comme le reste du pays ! Je sais bien qu’il n’est pas habituel, quand on pense des choses terribles, de les dire à celui qui les suscite. Je n’aurais pas été vous trouver chez vous. Je vous rencontre. C’est peut-être un signe. J’en profite !

— Monsieur, me dit l’Abbé en ricanant, seriez-vous Ministre de la morale publique ?

— Monsieur l’abbé, lui dis-je, je suis Français et chrétien. Je sais donc que vous avez la plus haute des vocations, et aussi qu’il ne doit rien y avoir de plus humble qu’un prêtre : ne m’opposez pas votre vanité meurtrie ! C’est mon humilité à moi qui, ce matin, a été blessée. Vous ne disiez pas vos prières : vous les grogniez. Vous êtes las ? Je le comprends. Vous avez une paroisse éreintante ? J’entends cela. Vous mariez, confessez, enterrez ? Hélas ! nous le savons tous ! Mais vous êtes prêtre, vous devez être sublime, et vous ne l’êtes pas. Voilà de quoi le pays meurt !

À ces mots, il me sembla qu’il tremblait… de peur ou de colère. Il regarda si on écoutait. Et je continuai :

— Vous n’avez pas l’air de sentir le respect que j’ai pour vous, monsieur l’abbé, à la minute où je vous bouscule avec cette violence ! Que n’êtes-vous un saint ! Voilà