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GASPARD

— Ça va bien. Tu nous poisses !

Le train s’ébranlait. L’homme d’équipe cria :

— En v’là encore un malpoli ! D’abord, c’est pas à vous que j’cause.

Gaspard se remit dans son filet.

— À moi qu’tu causes ? Ben, j’l’espère qu’c’est pas à moi qu’tu causes…

Etc… etc…

Il ronchonna ainsi sans s’arrêter pendant les deux heures que le train mit encore pour atteindre la petite ville d’Anjou, terme si attendu d’un voyage interminable. Et quand il fut bien sûr d’être arrivé, il déclara, terrible :

— C’est pas trop tôt ; j’allais gueuler !

Puis il descendit, sans rien dire.

On était à ***. Il n’y a pas de ville qui soit plus de notre pays, — d’un nom si alerte et si spirituel qu’il suffirait de le dire à un Chinois, pour qu’il réponde tout de suite : « Mais c’est en France ! »

Y débarquer la nuit ! Quel sacrilège ! Et cette nuit était tiède, molle, ouatée, un peu brumeuse, et il n’y avait sur le quai de la gare angevine, pour éclairer tant de fatigues, de boiteries et de déhanchements, que les étoiles bien lointaines et clignotantes. Les hommes se heurtaient les uns les autres, et s’en allaient en troupeau confus, maladroits, somnolents, vers les portes où les in-