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GASPARD

Il fallait voir Gaspard, nez dans son traversin, ne ronchonnant plus que deux mots : « J’ m’en fous ! »

C’est encore Dudognon qui vit la mère. Il était bien anxieux de la revoir ; il la devinait si douloureuse ; mais il grillait de lui raconter ce que Gaspard avait fait pour son fils.

Il n’en eut pas le moyen.

Quand, au lieu d’un blessé, il n’y eut plus qu’un cadavre, quand elle eut vu son enfant muet, raide et froid, cette femme, dans le désespoir qui la déchirait, eut soudain une crise de haine et de jalousie aiguë pour cet autre qui était rose, bien portant, à l’abri. Elle oublia son dévouement, ses attentions, toutes ses bontés. Dans sa souffrance elle ne jugeait plus que par ce que ses yeux voyaient ; et tandis que des larmes roulaient sur ses joues blêmies, elle lui demanda d’une bouche tremblante :

— Et vous ?… vous… vous irez donc pas au feu ?

À cette question imprévue, il balbutia :

— Moi… je suis infirmier…

Ce dernier mot fit pousser un cri de rage à la mère, un cri terrible et féroce :

— Ah ! ah !… Infirmier ! Quand les autres on les tue ? Pourquoi mon garçon a-t-il pas été infirmier ?…

Elle s’avançait sur lui :