Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/222

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Il était un peu interloqué ; mais les trois hommes, précipitamment, lui tendirent la main comme dans une crise d’affection passionnée. La patronne répétait : « Par ici, militaire. » Alors il fit : « Au revoir… » Et il la suivit.

Et il dîna seul, tout seul, dans un carré de pièce, où il y avait des paquets entassés, et d’où l’on entendait les bruits de la cuisine. Il ne saisissait pas pourquoi on l’avait mis là ; mais il n’eut pas l’idée de réclamer. Le soldat perd l’habitude de comprendre : il obéit. Puis, à partir du second plat, il trouva la bonne gentille. Alors, il oublia, et se dit simplement : « Elle est bath c’te p’tite-là ; c’est d’la primeur. » Mais quand il sortit, il ne revit pas la bourgeoisie de Reims, qui lui avait fait si bon accueil. Il tomba dans des rues noires. La gare était lointaine. Personne à qui dire un mot : il se sentit un blessé sans gloire.

Songeant que cette guerre n’en finissait pas, il monta dans un wagon vide… Il avait la bouche sèche : son morne dîner l’assoiffait. Quand le train s’ébranla, Gaspard était à plat, sans le moindre espoir d’une joie prochaine.

Pour respirer, il se mit à la portière. Le train semblait patiner. Il murmura :

— Qu’est-ce qu’il n’y a ? Un escargot su les rails ?

Puis, dans un soupir il exhala son amertume