Page:René Benjamin - La farce de la Sorbonne, 1921.djvu/148

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sans les accompagner, avant et après, d’autres mots spécialement philosophiques, qui font douter du sens français de pain ou de vin. L’effet est saisissant.

M. Brunschvicg a été mon professeur au folâtre Lycée Henri IV, pendant deux longues années. Nous nous sommes considérés l’un et l’autre avec sympathie et étonnement. Je l’écoutais, et je n’entendais rien que des sons. Il m’interrogeait, et il n’entendait même pas des sons. Aussi, décida-t-il assez vite, dans son indulgence qui est la plus exquise, de me laisser tout à fait en paix. Je concourais avec les autres, mais il n’osait jamais me classer. Doux et souriant, il disait : « Monsieur Benjamin, n’est ce pas, est en marge de la philosophie… » — Il n’avait pour moi aucune commisération méprisante, mais il faisait à mon égard une constatation objective.

Une nuit, — après une journée où je l’avais considéré avec une stupeur particulièrement vive (c’est ce jour-là, je crois, qu’il traita une heure entière le moi du toi en soi), — une nuit, dis-je, je rêvai de lui.