Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/147

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faut faire dans le succès de l’Évangile une part à l’étonnement causé chez nos lourdes races par l’étrangeté délicieuse de la narration sémitique, par ces habiles arrangements de sentences et de discours, par ces chutes si heureuses, si sereines, si cadencées. Étrangers aux artifices de l’agada, nos bons ancêtres en furent si charmés, qu’à l’heure présente nous avons peine encore à nous persuader combien ce genre de récit peut être vide de vérité objective. Mais, pour expliquer que l’Évangile soit devenu chez tous les peuples ce qu’il est, le vieux livre de famille dont les feuillets usés ont été mouillés de pleurs et où le doigt des générations s’est imprimé, il a fallu plus que cela. La fortune littéraire de l’Évangile tient à Jésus lui-même. Jésus a été, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’auteur de sa propre biographie. Une expérience le prouve. On fera longtemps encore des Vies de Jésus. Or la Vie de Jésus obtiendra toujours un grand succès, quand un écrivain aura le degré d’habileté, de hardiesse et de naïveté nécessaires pour faire une traduction de l’Évangile en style de son temps. On cherchera mille causes à ce succès ; il n’y en aura jamais qu’une, c’est l’Évangile lui-même, son incomparable beauté intrinsèque. Que le même écrivain fasse ensuite et avec les mêmes procédés une traduction de saint Paul,