Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/279

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ce que le Romain désignait d’un seul mot, ignavia. Selon les idées du temps, chacun était obligé d’avoir autant d’ambition que le comportaient sa naissance et sa fortune. L’homme d’un rang élevé qui se désintéressait de la lutte de la vie, qui craignait de répandre le sang, qui prenait un air doux et humain était un paresseux, un homme avili, incapable d’aucune entreprise[1]. Impie et lâche, telles étaient les qualifications qui s’attachaient à lui, et qui, dans une société très-vigoureuse encore, devaient infailliblement finir par le perdre.

Clemens et Domitilla ne furent pas, du reste, les seuls que le coup de vent du règne de Domitien inclina vers le christianisme. La terreur et la tristesse des temps fléchissaient les âmes. Beaucoup de personnes de l’aristocratie romaine prêtaient l’oreille à des enseignements qui, au milieu de la nuit qu’on traversait, montraient le ciel pur d’un royaume idéal[2]. Le monde était si sombre, si méchant ! Jamais, d’ailleurs, la propagande juive n’avait été aussi active[3]. Peut-être faut-il rapporter à ce temps la conversion

  1. Voir, par exemple, Tacite, Hist., III, 65, 75. La cause principale de la mort de Sénécion fut qu’il ne demandait pas les fonctions auxquelles il avait droit. Dion Cassius, LXVII, 13.
  2. Dion Cassius, LXVII, 11 : πολλοί.
  3. Juvénal, vi, 541 et suiv. ; xiv, 96 et suiv.