Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/400

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notre héritage ? Jusqu’à quand cela durera-t-il, Seigneur ?…

Sion est déserte, Babylone est heureuse. Est-ce bien juste ? Sion a donc beaucoup péché ? Soit ; mais Babylone est-elle plus innocente ? Je le croyais avant d’y être venu ; mais, depuis que j’y suis, que vois-je ? De telles impiétés, que j’admire vraiment que tu les supportes, après avoir détruit Sion pour beaucoup moins. Quelle nation t’a connu hors Israël ? Quelle tribu a cru en toi si ce n’est Jacob ? Et qui en a été moins récompensé ? Passant à travers les nations, je les ai vues florissantes et parfaitement insoucieuses de tes commandements. Mets dans la balance ce que nous avons fait et ce qu’elles font. Chez nous, j’en conviens, il y a peu de fidèles ; mais, chez elles, il n’y en a pas du tout. Or elles jouissent d’une paix profonde, et nous, notre vie est celle de la sauterelle fugitive ; nous passons nos jours dans la crainte et l’angoisse. Il nous eût été plus avantageux de ne pas exister que d’être tourmentés de la sorte sans savoir en quoi a pu consister notre faute[1]

Ah ! que n’avons-nous été brûlés nous aussi dans l’incendie de Sion ! Nous ne valons pas mieux que ceux qui y périrent[2].


L’ange Uriel, l’interlocuteur d’Esdras, élude le plus qu’il peut l’inflexible logique de cette protestation. Les mystères de Dieu sont si profonds ! L’esprit de l’homme est si borné ! Pressé de questions, Uriel

  1. IV Esdr., ch. iii, iv.
  2. Ch. xii, 44-45. « Quanto erat nobis melius si essemus succensi et nos in incendio Sion ; nec enim nos meliores sumus eorum qui ibi mortui sunt. »