Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/445

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cevront, non sans raison, un danger sérieux pour l’empire dans cette foi trop ferme en un royaume de Dieu qui est l’inverse de la société existante. L’élément de théocratie qui est au fond du judaïsme et du christianisme les effraye. Ils voient vaguement, mais sûrement, ce que verront plus clairement après eux les Dèce, les Aurélien, les Dioclétien, tous les restaurateurs de l’empire croulant au iiie siècle, qu’il faut choisir entre l’empire et l’Église ; que la pleine liberté de l’Église, c’est la fin de l’empire. Ils luttent par devoir ; ils laissent appliquer une loi dure, qui est la condition de l’existence de la société de leur temps. On était ainsi bien plus loin de s’entendre avec le christianisme que sous Néron ou sous les Flavius. Les politiques avaient senti le danger et se tenaient en garde. Le stoïcisme s’était roidi ; le monde n’était plus aux âmes tendres, pleines de sentiments féminins, comme Virgile. Les disciples de Jésus ont maintenant affaire à des hommes fermes, doctrinaires inflexibles, sûrs d’avoir raison, capables d’être durs systématiquement, car ils se rendent témoignage de n’agir qu’en vue du bien de l’État, et se disant avec une douceur imperturbable : « Ce qui n’est pas utile à l’essaim n’est pas non plus utile à l’abeille[1]. »

  1. Marc-Aurèle, Pensées, VI, 54.