Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/109

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que le matérialisme des classes opulentes est seul condamnable. La tendance des classes pauvres au bien-être est juste, légitime et sainte, puisque les classes pauvres n’arriveront à la vraie sainteté, qui est la perfection intellectuelle et morale, que par l’acquisition d’un certain degré de bien-être. Quand un homme aisé cherche à s’enrichir encore, il fait une œuvre au moins profane, puisqu’il ne peut se proposer pour but que la jouissance. Mais quand un misérable travaille à s’élever au-dessus du besoin, il fait une action vertueuse car il pose la condition de sa rédemption, il fait ce qu’il doit faire pour le moment. Quand Cléanthe passait ses nuits à puiser de l’eau, il faisait œuvre aussi sainte que quand il passait les jours à écouter Zénon. Je n’entends jamais sans colère les heureux du siècle accuser de basse jalousie et de honteuse concupiscence le sentiment qu’éprouve l’homme du peuple devant la vie plus distinguée des classes supérieures. Quoi ! vous trouvez mauvais qu’ils désirent ce dont vous jouissez. Voudriez-vous prêcher au peuple la claustration monacale et l’abstinence du plaisir, quand le plaisir est toute votre vie, quand vous avez des poètes qui ne chantent que cela ! Si cette vie est bonne, pourquoi ne la délireraient-ils pas ? Si elle est mauvaise, pourquoi en jouissez-vous ?

La tendance vers les améliorations matérielles est donc loin d’être préjudiciable au progrès de l’esprit humain, pourvu qu’elle soit convenablement ordonnée à sa fin. Ce qui avilit, ce qui dégrade, ce qui fait perdre le sens des grandes choses, c’est le petit esprit qu’on y porte ; ce sont les petites combinaisons, les petits procédés pour faire fortune. En vérité, je crois qu’il vaudrait mieux laisser le peuple pauvre que de lui faire son éducation de