Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/130

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soucier de le perfectionner ; car tenter de le perfectionner ce serait le prendre au sérieux, ce serait se poser en théologien ; or, il est de bon ton, parmi nous, de déclarer qu’on ne s’occupe pas de ces sortes de choses. Rien de plus voisin que l’indifférence et l’orthodoxie. L’hérésiarque n’a donc rien à espérer de nos jours, ni des orthodoxes sévères, qui l’anathématiseront, ni des libres penseurs, qui souriront à la tentative de réformer l’irréformable.

Il y a une ligne très délicate au delà de laquelle l’école philosophique devient secte : malheur à qui la franchit ! À l’instant, la langue s’altère, on ne parle plus pour tout le monde, on affecte les formes mystiques, une part de superstition et de crédulité apparaît tout d’un coup, on ne sait d’où, dans les doctrines qui semblaient les plus rationnelles, la rêverie se mêle à la science dans un indiscernable tissu. L’école d’Alexandrie offre le plus curieux exemple de cette transformation. Le saint-simonisme l’a renouvelé de nos jours. Je suis persuadé que si cette école célèbre fût restée dans la ligne de Saint-Simon, qui, bien que superficiel par défaut d’éducation première, avait réellement l’esprit scientifique, et sous la direction de Bazard, qui était bien certainement un philosophe dans la plus belle acception du mot, elle fût devenue la philosophie originale de la France au xixe siècle. Mais du moment où des esprits moins sérieux y prennent le dessus, les scories de la superstition apparaissent, l’école tourne à la religion, n’excite plus que le rire et va mourir à Ménilmontant, au milieu des extravagances qui ferment l’histoire de toutes les sectes. Immense leçon pour l’avenir !

La science large et libre, sans autre chaîne que celle de la raison, sans symbole clos, sans temples, sans prêtres,