Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus vécu, qui, par son esprit, par son cœur et par ses actes a le plus adoré !

Ne voir dans la science qu’une mesquine satisfaction de la curiosité ou de la vanité, c’est donc une aussi grande méprise que de ne voir dans la poésie qu’un fade exercice d’esprits frivoles, et dans la littérature l’amusement dont on se lasse le moins vite et auquel on revient le plus volontiers. Le curieux et l’amateur peuvent rendre à la science d’éminents services ; mais ils ne sont ni le savant ni le philosophe. Ils en sont aussi loin que l’industriel. Car ils s’amusent, ils cherchent leur plaisir, comme l’industriel cherche son profit. Il y a, je le sais, dans la curiosité des degrés divers ; il y a loin de cet instinct mesquin de collection, qui diffère à peine de l’attachement de l’enfant pour ses jouets, à cette forme plus élevée, où elle devient amour de savoir, c’est-à-dire instinct légitime de la nature humaine, et peut constituer une très noble existence. Bayle et Charles Nodier ne sont que des curieux, et pourtant ils sont déjà presque des philosophes. Il est même bien rare qu’à l’exercice le plus élevé de la raison ne se mêle un peu de ce plaisir, qui, pour n’avoir aucune valeur idéale, n’en est pas moins utile. Combien de découvertes en effet ont été amenées par la simple curiosité ? Combien de compilations, précieuses pour les recherches ultérieures, n’eussent point été faites sans cet innocent amour du travail, par lequel tant d’âmes doucement actives réussissent à tromper leur faim ? Ce serait une barbarie de refuser à ces humbles travailleurs, ce petit plaisir mesquin, peu élevé, mais fort doux, que M. Daunou appelait si bien paperasser. Nous nous sommes tous bien trouvés d’avoir éprouvé cette innocente jouissance, pour nous aider à dévorer les pages arides