Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/226

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J’ai trop répété peut-être, et pourtant je veux répéter encore qu’il y a une science de l’humanité, qui aurait bien, j’espère, autant de droits à s’appeler philosophie que la science des individus, science qui n’est possible que par la trituration érudite des œuvres de l’humanité. Il ne faut pas chercher d’autre sens à tant d’études dont le passé est l’objet. Pourquoi consacrer la plus noble intelligence à traduire le Bhagavata-Pourana, à commenter le Yaçua ? Celui qui l’a fait si doctement vous répondra : « Analyser les œuvres de la pensée humaine, en assignant à chacune son caractère essentiel, découvrir les analogies qui les rapprochent les unes des autres, et chercher la raison de ces analogies dans la nature même de l’intelligence, qui, sans rien perdre de son unité indivisible, se multiplie par les productions si variées de la science et de l’art, tel est le problème que le génie des philosophes de tous les temps s’est attaché à résoudre, depuis le jour où la Grèce a donné à l’homme les deux puissants leviers de l’analyse et de l’observation (92). » L’érudition ne vaut que par là. Personne n’est tenté de lui attribuer une utilité pratique ; la pure curiosité d’ailleurs ne suffirait pas pour l’ennoblir. Il ne reste donc qu’à y voir la condition de la science de l’esprit humain, la science des produits de l’esprit humain.

Le vulgaire et le savant admirent également une belle fleur mais ils n’y admirent pas les mêmes choses. Le vulgaire ne voit que de vives couleurs et des formes élégantes. Le savant remarque à peine ces superficielles beautés, tant il est ravi des merveilles de la vie intime et de ses mystères. Ce n’est pas précisément la fleur qu’il admire, c’est la vie, c’est la force universelle qui s’épa-