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cite, séparant ce que les anciens assemblaient, brisant les mécanismes de l’ancienne langue pour donner à chaque idée et à chaque relation son expression isolée.

Il serait possible, en prenant l’une après l’autre les langues de tous les pays où l’humanité a une histoire, d’y vérifier cette marche, qui est la marche même de l’esprit humain. Dans l’Inde, c’est le sanskrit, avec son admirable richesse, de formes grammaticales, ses huit cas, ses six modes, ses désinences nombreuses, sa phrase implexe et si puissamment nouée, qui, en s’altérant, produit le pali, le prakrit et le kawi, dialectes moins riches, plus simples et plus clairs, qui s’analysent à leur tour en dialectes plus populaires encore, l’hindoui, le bengali, le mahratte et les autres idiomes vulgaires, de l’Indoustan, et deviennent à leur tour langues mortes, savantes et sacrées : le pali dans l’île de Ceylan et l’Indo-chine, le prakrit chez les Djaïnas, le Kawi dans les îles de Java, Bali et Madoura. Dans la région de l’Inde au Caucase, le zend, avec ses mots longs et compliqués, son manque de prépositions et sa manière d’y suppléer au moyen de cas formés par flexion, le perse des inscriptions cunéiformes, si parfait de structure, sont remplacés par le persan moderne, presque aussi décrépit que l’anglais, arrivé au dernier terme de l’érosion. Dans la région du Caucase, l’arménien et le géorgien modernes succèdent à l’arménien et au géorgien antiques. En Europe, l’ancien slavon, le tudesque, le gothique, le normannique se retrouvent au-dessous des idiomes slaves et germaniques. Enfin c’est de l’analyse du grec et du latin, soumis au travail de décomposition des siècles barbares, que sortent le grec moderne et les langues néo-latines.

Les langues sémitiques, quoique bien moins vivantes que les langues indo-germaniques, ont suivi une marche