Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/280

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que ces travailleurs eussent été indépendants (108) ; ils n’eussent pas porté dans leur œuvre autant de patience et d’abnégation ; mais ils y eussent certainement porté plus de critique. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que l’abolition des ordres religieux qui se livraient à l’étude, et celle des parlements, qui fournissaient à tant d’hommes lettres de studieux loisirs, n’aient porté un coup fatal aux recherches savantes. Cette lacune ne sera réparée que quand l’État aura institué, sous une forme ou sous une autre, des chapitres laïcs, des bénéfices laïcs, où les grands travaux d’érudition seront repris par des bénédictins profanes et critiques. A côté de l’œuvre savante de l’architecte, il y a dans la science l’œuvre pénible du manœuvre, qui exige une obscure patience et des labeurs réunis. Dom Mabillon, dom Ruinard, dom Hivet, Montfaucon n’eussent point accompli leurs œuvres gigantesques, s’ils n’eussent eu sous leurs ordres toute une communauté de laborieux travailleurs, qui dégrossissaient l’œuvre à laquelle ils mettaient ensuite la dernière main. La science ne fera de rapides conquêtes que quand des bénédictins laïcs s’attelleront de nouveau au joug des recherches savantes, et consacreront de laborieuses existences à l’élucidation du passé. La récompense de ces modestes travailleurs ne sera pas la gloire ; mais il est des natures douces et calmes, peu agitées de passions et de désirs, peu tourmentées de besoins philosophiques (gardez-vous de croire qu’elles soient pour cela froides et sèches ; au contraire elles ont souvent une grande concentration et une sensibilité très délicate), qui se contenteraient de cette paisible vie, et qui, au sein d’une honnête aisance et d’une heureuse famille, trouveraient l’atmosphère qu’il faut pour tes modestes travaux. A vrai dire, la forme la plus naturelle de